AfghanistanLes erreurs du Pentagone expliquant la débâcle de l'armée afghane
ATS
15.8.2021 - 23:08
L'effondrement de l'armée afghane, qui a permis aux talibans de s'emparer de Kaboul en dix jours, a mis en évidence les erreurs commises pendant 20 ans en Afghanistan par le Pentagone. Ce dernier y a dépensé des milliards avec des objectifs irréalistes.
15.08.2021, 23:08
ATS
Un équipement trop sophistiqué
Washington a dépensé 83 milliards de dollars pour créer de toutes pièces une armée à l'image de celle des Etats-Unis, c'est-à-dire dépendant largement d'un soutien aérien et d'un réseau de communication en bon état, dans un pays où seulement 30% de la population a de l'électricité 24 heures sur 24.
Avions, hélicoptères, drones, véhicules blindés, lunettes de vision nocturne: les Etats-Unis n'ont reculé devant rien pour équiper l'armée afghane. Ils lui ont encore remis récemment des hélicoptères Black Hawk dernier cri.
Mais les militaires n'ont pas tenu compte du fait que la majorité des soldats afghans étaient illettrés, que le pays manquait d'infrastructures pour entretenir un tel équipement et ils ont sciemment surestimé ses capacités, soulignait récemment l'inspecteur général pour la reconstruction de l'Afghanistan (Sigar), John Sopko.
Lorsqu'il fallait évaluer l'armée afghane, «les militaires changeaient d'objectifs pour que ce soit plus facile de revendiquer un succès. Et quand ils n'ont plus pu le faire, ils ont classé les objectifs secret-défense», a-t-il dit. «Ils savaient à quel point l'armée afghane allait mal».
«Les systèmes d'armement avancés, les véhicules, la logistique utilisés par les armées occidentales dépassaient les capacités de militaires afghans largement illettrés et peu éduqués», indique le dernier rapport du Sigar, chargé par le Congrès américain de superviser l'action des Etats-Unis en Afghanistan.
Des effectifs surévalués
Les responsables du Pentagone n'ont eu de cesse ces derniers mois de souligner à quel point les forces afghanes (armée et police), fortes de plus de 300'000 hommes, avaient un avantage sur 70'000 talibans.
Mais selon le «Combatting terrorism center», de la prestigieuse école militaire de West Point, sur ces 300'000 personnes, seuls 185'000 étaient placés en juillet 2020 sous l'autorité du ministère afghan de la Défense (armée de terre, armée de l'air, forces spéciales). Les autres étaient des policiers et autres membres des services de sécurité.
Les analystes de West Point estiment aussi qu'à peine plus de la moitié des effectifs de l'armée afghane étaient des combattants.
Si l'on écarte les 8000 hommes de l'armée de l'air, les capacités de l'armée de terre afghane ne dépassent pas 96'000 hommes, ont-ils conclu.
Selon le rapport du Sigar, les désertions ont toujours été un problème. «En 2020, l'armée afghane devait recruter 25% de ses effectifs chaque année, ce que les militaires américains avaient fini par considérer comme normal». Les désertions étaient «l'un des principaux» facteurs expliquant ce taux très élevé de renouvellement.
Un soutien à demi-mot
Les dirigeants américains ont affirmé à maintes reprises qu'ils s'engageaient à continuer à soutenir l'armée afghane après le 31 août 2021, date-butoir annoncée de la fin du retrait des troupes américaines. Mais ils n'ont jamais mis sur pied la logistique pour le faire.
Lors de sa dernière visite à Kaboul en mai, le ministre de la Défense Lloyd Austin lui-même évoquait la posssiblité d'aider à distance l'armée de l'air afghane à assurer elle-même la maintenance de ses avions, ce qu'il appelait l'assistance «au delà de l'horizon».
Ce concept impliquait des formations virtuelles, via la plateforme de conférence vidéo en ligne Zoom. Une approche qui apparaît illusoire à moins que les soldats afghans aient pu être équipés d'ordinateurs ou de smartphones performants et reliés à un réseau wifi en bon état.
Selon Ronald Neumann, un ancien ambassadeur américain à Kaboul, les militaires américains «auraient pu prendre davantage leur temps». Le retrait total des forces étrangères était prévu au 1er mai, selon l'accord passé par l'administration de Donald Trump avec les talibans.
Son successeur Joe Biden a repoussé la date au 11 septembre mais il a aussi décidé de retirer tous les ressortissants américains du pays, y compris les sous-traitants civils qui jouent un rôle-clé dans la logistique de l'armée américaine.
«Nous avons construit une armée de l'air (afghane) qui dépendait de sous-traitants pour sa maintenance et nous avons retiré les sous-traitants», a déclaré M. Neumann à la radio publique NPR.
Une armée démoralisée
Pire, les salaires de l'armée afghane étaient payés depuis des années par le Pentagone. Or à partir du moment où l'armée américaine a annoncé son retrait à la mi-avril, les fonds ont été versés au gouvernement de Kaboul.
De nombreux témoignages de soldats afghans sur les résaux sociaux montrent qu'ils n'ont pas été payés depuis plusieurs mois et qu'ils n'ont pas été ravitaillés en nourriture, ni même en munitions.
«Nous avons profondément choqué et démoralisé l'armée afghane en lui retirant le soutien aérien avec lequel nous les avons formés», a poursuivi M. Neumann, ambassadeur à Kaboul de 2005 à 2007.