Héritage de Le PenLe legs de Jean-Marie Le Pen dans l'ascension de l'extrême droite
ATS
7.1.2025 - 18:12
Jean-Marie Le Pen, dont les outrances étaient la marque de fabrique, avait permis à l'extrême droite française de s'imposer avec fracas en politique il y a un demi-siècle. Sa fille a engagé une dédiabolisation qui l'a hissé au rang de premier parti de France.
Keystone-SDA
07.01.2025, 18:12
ATS
Ils sont quelques dizaines, ce jour d'octobre 1972, autour d'un ex-député nommé Le Pen. Figurent notamment d'ex-membres de la Waffen-SS, de la Milice, ou des partisans de l'Algérie française.
Sur la banderole, «Front national pour l'unité française», rapidement résumé à ses deux premiers mots. Pour logo, une flamme tricolore, la même que celle du Mouvement social italien (MSI), le parti néo-fasciste le plus puissant d'Europe.
Objectif: créer une vitrine pour fédérer toutes les extrêmes droites françaises, éparpillées et marginalisées depuis que la collaboration pétainiste avec les nazis les a disqualifiées.
La présidentielle de 1974 permet une première immixtion dans le jeu politique, avec la candidature de Jean-Marie Le Pen. La déception sera à la hauteur du score famélique, 0,75%. Le dirigeant du Front national, verbe haut et visage barré d'un bandeau après la perte d'un oeil, devra encore attendre des années pour transformer l'essai.
En juin 1984, la liste Front national conduite par Jean-Marie Le Pen aux élections européennes recueille presque 11% des suffrages exprimés. Le lepénisme est né, porté par des slogans qui font florès: «La France aux Français», «Un million de chômeurs, c'est un million d'immigrés de trop» et, bientôt, «Le Pen, le peuple».
Accueillant dans ses rangs catholiques intégristes, monarchistes, nostalgiques de Vichy voire des néo-nazis, le FN resserre son discours sur la supposée submersion migratoire.
Le goût du scandale
Il ne s'agit plus de s'adresser à une frange marginale de la bourgeoisie conservatrice, mais aux masses populaires, dans une logique volontiers populiste. Quitte à passer du libéralisme au souverainisme étatiste.
La mise en place de la proportionnelle aux législatives de 1986 permet l'arrivée de 35 députés défendant le déremboursement de l'interruption volontaire de grossesse ou le rétablissement de la peine de mort. «Nous étions l'avant-garde, sabre au clair, contre l''Établissement'», se rappelle l'un d'eux, Bruno Gollnisch.
L'année suivante, Jean-Marie Le Pen apporte au Front national ce qui va devenir sa marque de fabrique: le goût du scandale. En renvoyant les chambres à gaz à «un détail de l'Histoire», il s'inscrit dans une tradition antisémite de l'extrême droite française.
Malgré les condamnations unanimes, la lumière projetée sur le FN attire davantage les foules. «Un Front (national) gentil, ça n'intéresse personne», résumait Le Pen, en ironisant: «avant le 'détail', 2,2 millions d'électeurs; après, 4,4 millions».
Les présidentielles de 1988 (14,39%) et 1995 (15,00%) confirment sa percée, portée par une série d'outrances: la théorisation de «l'inégalité des races» ou la relativisation de l'Occupation allemande «pas particulièrement inhumaine».
Le parti sera très ébranlé par la tentative du numéro deux, Bruno Mégret, de prendre le parti en 1999. Un «pu-putsch», dénonce Le Pen, qui conserve les clés de la maison, mais vidée des trois quarts de ses cadres.
S'il réussit l'exploit de se qualifier au second tour de la présidentielle de 2002, il obtient finalement le pire score d'un candidat à l'Elysée (17,79%). Le Pen vieillissant et dépouillé d'une partie de son électorat par Nicolas Sarkozy en 2007 (10,44%), le Front national se cherche un second souffle.
«Dédiabolisation»
Il le trouvera chez Marine Le Pen, fille du fondateur. Un changement de ligne? Pas sur le fond: «Je prends l'ensemble de l'histoire de mon parti» et «j'assume tout», prévient-elle en prenant la direction du parti en 2011. Mais sur la forme, la stratégie se résume en un seul mot: «dédiabolisation».
La respectabilisation passe par des exclusions... y compris, en 2015, de Jean-Marie Le Pen lui-même, après qu'il a promis une prochaine «fournée» au chanteur Patrick Bruel issu de la communauté juive.
Marine Le Pen et les siens tentent, avec un certain succès, de rassurer les catégories de la population qui lui sont historiquement hostiles: juifs, cadres, banlieusards, jeunes, retraités... En 2018, le Front devient «Rassemblement national».
Le RN progresse, mais reste fragile, d'abord financièrement, au risque de montages financiers hasardeux sanctionnés par la justice. Ensuite, le parti à la flamme subit la concurrence des «identitaires», désespérés de la «malédiction» Le Pen, après un score décevant de 33,90% au deuxième tour de la présidentielle de 2017.
Son salut passe par un succès providentiel en juin 2022 lorsqu'il obtient 89 députés, vitrine pour achever de se crédibiliser. Ces nouveaux relais dans les territoires s'affichent en cravate et écharpe bleu-blanc-rouge.
A cette extrême droite new-look, Marine Le Pen apporte une nouvelle incarnation: Jordan Bardella, né en 1995, prend le parti en 2023 dans le cadre d'un «duo complémentaire». A elle, l'Elysée; à lui Matignon, fanfaronnent-ils.
La formule ciselée, le cheveu impeccablement plaqué, le jeune homme plaît autant à la jeunesse – 1,2 millions d'abonnés sur TikTok – qu'à leurs parents – près de 11 millions de voix au premier tour des législatives.
Une fois encore, il a fallu déchanter. Un front républicain défait le RN au second tour, en juillet, même s'il devient le principal groupe d'une Assemblée nationale sans majorité.