«Je veux vivre dans mon pays, pas être contrainte de partir», clame Mariam Sidani, une lycéenne de Beyrouth. Comme elle, de nombreux jeunes ont rallié le mouvement de contestation inédit qui agite le Liban, afin d'exprimer leur soif d'un avenir dans leur pays.
Depuis le 17 octobre, des centaines de milliers de Libanais de tous bords sont descendus dans les rues pour dénoncer la dégradation de la situation économique, et réclamer le départ d'une classe politique jugée incompétente et corrompue.
Durant plusieurs jours, les étudiants et les collégiens ont offert un nouveau souffle au mouvement en ralliant la cause et en s'imposant comme le fer de lance de la «révolution». Sur quels mots d'ordre? «Personne ne s'intéresse à mon avenir», répond Mariam, 16 ans, qui a décidé de sécher les cours pour crier haut et fort ses doléances.
Les Libanais à l'étranger
Des coupures de courant à une couverture santé précaire en passant par le chômage, la cherté de la vie, la corruption généralisée ou la mauvaise gestion des déchets, la liste des griefs faits aux dirigeants est interminable.
«Partout dans le monde, des étudiants se battent pour la justice climatique», relève Mariam. Ici, «nous n'avons même pas la mer», s'étrangle-t-elle, en référence au littoral du pays largement privatisé, bétonné et pollué.
Mais l'un des principaux reproches de la jeunesse est l'absence de perspectives professionnelles, dans un pays qui compte moins de ressortissants sur son propre sol – 4,5 millions – qu'à l'étranger.
Recours à la «wasta»
Face à une jeunesse plus que jamais en colère et déterminée, le président Michel Aoun, 84 ans, a eu ce mois une formule lapidaire: «Si, au sein de l'Etat, il n'y a personne qui leur convient, qu'ils émigrent», a-t-il asséné, attisant la colère.
«Nous voulons rester ici auprès de nos familles», rétorque Tina, 17 ans. Et «nous voulons trouver du travail sans avoir nécessairement recours à la 'wasta'«, ajoute-t-elle, en allusion à la culture du «piston». A proximité, parmi la foule joyeuse qui danse, Sandra Rizk, 19 ans, poursuit déjà ses études en Italie. Mais elle est revenue pour se joindre aux cortèges.
«Nous avons des personnes brillantes qui quittent notre pays. Ca ne devrait pas fonctionner ainsi», s'insurge-t-elle. «Ces gens doivent revenir et réparer le Liban».
«Plus dans la justice sociale»
Le chercheur Nadim Houry insiste que cette génération née dans les années 2000 a surpris son monde en se levant subitement contre les codes sociaux et politiques pourtant lourdement ancrés dans le pays.
«Tout le monde les pensait trop léthargiques après toutes ces heures passées sur YouTube ou les réseaux sociaux, dit-il à l'AFP. «Mais, comme dans d'autres lieux aussi éloignés que Hong Kong, ils se sont montrés plus politiques et structurés que leurs aînés».
Nés bien après la fin de la guerre civile (1975-90), ces jeunes sont moins marqués par les clivages confessionnels et moins tétanisés, n'ayant pas connu certains politiciens à l'heure des seigneurs de guerre, juge M. Houry. «Ils sont moins dans le sectarisme, plus dans la justice sociale», et veulent être «considérés comme des citoyens, non des membres d'une caste», résume-t-il. En un mot: ils sont «plus démocratiques».
Humour et créativité
De la musique aux graffitis, les diverses expressions du mouvement ont aussi montré que ces jeunes n'étaient dénués ni de créativité ni d'humour.
La situation est «si mauvaise que vous m'avez fait oublier à quelle point la saison 8 était nulle», disait récemment une pancarte, en allusion à la dernière saison de la série télévisée à succès Games of Thrones. «Vous êtes l'imparfait, nous sommes le futur», était-il écrit sur une banderole lors d'un rassemblement devant le ministère de l'Education.
D'autres mouvements populaires ont eu lieu par le passé au Liban. En 2005, des centaines de milliers de Libanais avaient manifesté pour obtenir le départ des troupes syriennes. Dix ans plus tard, un autre mouvement avait vu le jour face à la crise des déchets.
Mais, George, un étudiant en architecture de 26 ans, enveloppé d'un drapeau national, juge le mouvement actuel unique en son genre. «C'est la vraie révolution, celle qui nous représente tous.» Et il veut croire que la jeune génération ne lâchera rien. «Si les plus anciens ont dû reprendre leur travail, nous, nous avons troqué nos programmes scolaires pour la révolution».
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