Crise politique Le Canada face à la furia de Trump - Un expert canadien décrypte les enjeux

Gregoire Galley

12.2.2025

Depuis son retour tonitruant à la Maison Blanche, Donald Trump multiplie les annonces provocatrices. Fin janvier, le milliardaire a voulu mettre l’une ses menaces à exécution en instaurant une taxe de 25% sur les produits canadiens importés aux Etats-Unis avant de se rétracter et de la suspendre durant un mois. 

Pierre Poilievre, c'est qui ?

Pierre Poilievre, c'est qui ?

Un nom qui bouscule la politique canadienne : Pierre Poilievre. Chef du Parti conservateur du Canada, il est l’opposant numéro un de Justin Trudeau et ne cache pas son ambition : prendre le pouvoir en 2025.

11.02.2025

Gregoire Galley

Malgré tout, en cas de mise en œuvre définitive, cette mesure s’apparenterait à un véritable coup dur pour le pays à la feuille d’érable qui traverse, qui plus est, une grave crise politique.

Philippe Bourbeau, Professeur et Codirecteur de l’Institut international de diplomatie économique à l’École des hautes études commerciales (HEC) de Montréal, fait le point sur la situation.

Après dix ans comme Premier ministre du Canada, Justin Trudeau a décidé de démissionner. Quelles sont les raisons qui ont motivé son choix ?

«Dans le système parlementaire canadien, il est très important d’avoir le support de son caucus, c’est-à-dire l’ensemble des députés qui soutiennent le Premier ministre et qui appartiennent très souvent au même parti politique.»

«Dans le cas de Justin Trudeau, plusieurs indications montraient, depuis quelques temps déjà, qu’il avait perdu ce soutien et que certains voulaient un changement à la tête du Parti libéral. Il faut dire que les deux dernières années ont été particulièrement difficiles pour Trudeau en termes de sondage d’opinion publique. En effet, les Canadiens ont indiqué, de façon régulière et systématique, qu’ils étaient fatigués du leadership du Premier ministre. Ce dernier s’est donc retiré en raison de pressions, autant publiques qu’internes à son parti, devenues trop grandes.»

«Les Etats-Unis sont en perte de vitesse sur l’échiquier mondial tant au niveau géopolitique qu’économique»

Philippe Bourbeau

Professeur et Codirecteur de l’Institut international de diplomatie économique à l’École des hautes études commerciales (HEC) de Montréal

Selon plusieurs sondages, le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, est le favori pour succéder à Justin Trudeau. Habitué aux sorties fracassantes dans les médias, peut-on le comparer à Donald Trump ?

«Même s’il faut faire ces comparaisons en prenant des pincettes, on aurait tendance à, effectivement, connecter le Parti conservateur au Parti républicain alors que le Parti libéral est davantage lié au Parti démocrate. Concernant Pierre Poilievre, il est assurément beaucoup plus clivant que les autres leaders des formations politiques canadiennes. Il faut comprendre qu’il incarne une divergence claire d’orientation pour le pays par rapport au Parti libéral qui détient le pouvoir depuis près de dix ans. Poilievre prône une politique commerciale, monétaire et économique plus restreinte ou, toutefois, moins dépensière que les Libéraux. Il a également certaines positions sociales qui peuvent davantage froisser les Canadiens tandis que Trudeau se présentait d'abord et avant tout comme étant le champion des normes, particulièrement les normes internationales.»

«Il ne faut toutefois pas comparer Pierre Poilievre avec Donald Trump. Leurs personnalités sont complètement différentes. Les deux hommes n’ont pas le même historique, non plus, puisque Trump est un homme d’affaires alors que Poilievre est un politicien de carrière.»

«En revanche, je pense quand même que les événements des derniers jours viennent changer la donne politique au Canada. Depuis le début 2025, plusieurs observateurs considèrent que les pressions américaines sur le Canada profitent au Parti libéral et à Mike Carney (le potentiel prochain chef du parti et donc Premier Ministre). Dans ces conditions, le Parti conservateur et le Bloc québécois sont forcés de se positionner dans cette nouvelle donne.»

Certains députés fédéraux estiment qu’Elon Musk pourrait s’immiscer dans ces élections en soutenant Pierre Poilievre. Cela pourrait-il vraiment se produire ?

«C’est un élément qui peut avoir lieu dans la mesure où tout homme d’affaires peut intervenir dans des élections en fonction de ses intérêts. Cependant, le cas d’Elon Musk est un peu spécial puisqu’il semble détenir une position très importante auprès de Donald Trump. Il cherchera à avoir une influence sans aucun doute. Reste à voir si elle sera décisive dans le contexte canadien.»

Donald Trump a également défrayé la chronique en répétant que le Canada devrait devenir le «51e État américain» afin d’éviter l’instauration d’une taxe de 25% sur les produits canadiens importés aux Etats-Unis. Dans quels buts utilise-t-il cette rhétorique agressive ?

«Cette histoire de 51e État démontre bien que les Etats-Unis sont en perte de vitesse sur l’échiquier mondial tant au niveau géopolitique qu’économique. Donald Trump construit des remparts afin d’inverser cette tendance. Je pense qu’il essaie de remettre au goût du jour la doctrine Monroe (NDLR : doctrine qui condamne toute intervention européenne dans les affaires «des Amériques», tout comme celle des Etats-Unis dans les affaires européennes). En menaçant également le Canal de Panama et le Groenland, il veut recréer une Amérique dans un continent puissant afin de cibler la Chine avant l’Europe.»

Des taxes douanières de 25% ou encore une vague d’immigration en provenance des Etats-Unis : Donald Trump donne des sueurs froides aux Canadiens. Comment le pays peut-il tenir tête à son grand voisin ?

«Je ne vois pas les choses de façon binaire, c’est-à-dire qu’il ne faut pas résister ou capituler. Il faut trouver une voie entre les deux en ayant, bien évidemment, une stratégie claire, sérieuse et cohérente. L’objectif est de trouver un terrain d’entente mais il est nécessaire que le Canada prenne conscience que les enjeux sont liés et qu’il ne faut donc pas négocier filière par filière.»

L’étoile Justin Trudeau a pâli

Fils de l’ancien Premier ministre Pierre Elliott Trudeau, Justin Trudeau gravit les échelons de la politique canadienne à vive allure. Élu député de la circonscription de Papineau à la Chambre des communes en 2008, il prend la tête du Parti libéral en 2013 avant de devenir Premier ministre en 2015 à l’âge de 43 ans. Son ascension au pouvoir met fin à la domination du Parti conservateur qui dirigeait le pays depuis 2006. Très populaire au début de son premier mandat, l’Ontarien prend des mesures fortes en légalisant le cannabis ou en promulguant une taxe fédérale sur le carbone. Mais cet état de grâce ne va pas durer puisque Justin Trudeau va rapidement être rattrapé par des affaires de conflits d’intérêts et d’acceptations d’avantages. Pour les Canadiens, le Libéral n’a, en outre, pas été capable de contenir l’inflation et maîtriser les crises du logement et des services publiques. Sous le feu des critiques depuis plusieurs mois, Justin Trudeau n’a, finalement, pas eu d’autre choix que de rendre son tablier après avoir encore vu le Nouveau Parti démocratique lui retirer son soutien.