«Comme si tout était normal» Face à une offensive ukrainienne embarrassante, Poutine minimise

ATS

23.8.2024 - 07:44

Pris au dépourvu par une offensive audacieuse qui a permis à l'Ukraine de s'emparer de centaines de kilomètres carrés de territoire russe, le Kremlin se fait très discret jusqu'à présent. Il se garde de grandes envolées menaçantes.

Dans son style consistant à minimiser les mauvaises nouvelles, le président russe Vladimir Poutine voit dans la plus grande incursion militaire étrangère sur le sol russe depuis la seconde guerre mondiale un simple «développement». (archives)
Dans son style consistant à minimiser les mauvaises nouvelles, le président russe Vladimir Poutine voit dans la plus grande incursion militaire étrangère sur le sol russe depuis la seconde guerre mondiale un simple «développement». (archives)
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Dans son style consistant à minimiser les mauvaises nouvelles, le président russe Vladimir Poutine voit dans la plus grande incursion militaire étrangère sur le sol russe depuis la seconde guerre mondiale un simple «développement».

«C'est sa réaction habituelle en de telles circonstances: il disparaît jusqu'à ce que la situation se calme, puis fait comme si tout était normal», décrypte l'experte Ekaterina Schulmann.

Sur le recul depuis des mois face à l'avancée des troupes russes dans l'est de son territoire, l'Ukraine a porté le combat en Russie le 6 août avec une offensive d'une ampleur sans précédent et toujours en cours contre la région frontalière de Koursk.

Hauts et bas habituels

Face à cette attaque surprise, le président russe a réservé ses commentaires les plus durs à un public improbable: trois mères qui ont perdu des enfants lors du massacre de l'école de Beslan, en 2004, dans le Caucase du Nord. «Ces ennemis [...] poursuivent leur tâche en tentant d'ébranler notre pays», a-t-il dit cette semaine lors d'une visite commémorative.

Comparant l'incursion ukrainienne au terrorisme islamiste qui avait endeuillé Beslan et choqué la Russie, il a promis de «vaincre ces criminels».

Assurant s'être emparée de près de cent localités et de plus de 1250 km2 en territoire russe, l'Ukraine dit espérer que son offensive renversera le cours de la guerre et forcera la Russie à négocier pour tenir compte de la lassitude de sa population.

La réalité, estiment les experts, risque d'être toutefois très différente. Depuis que Vladimir Poutine a ordonné l'invasion de l'Ukraine en février 2022, le Kremlin ne tolère plus aucune critique.

Habitués aux hauts et aux bas du conflit, les Russes, expliquent ces experts, ne se laisseront pas décourager par la perte de villages frontaliers, même si cela devait durer des semaines, voire des mois.

Peu d'options

«Oui, c'est douloureux, on le voit aux réactions» des responsables, déclare Alexander Gabuev, directeur du centre Carnegie Russie Eurasie. «Il y a une différence [...] entre la perte d'un territoire russe et la perte d'un territoire conquis», reconnaît-il. Mais «je ne pense pas que pour l'élite ou la population russe, ce genre d'échec soit une information importante».

Sur le plan militaire, la Russie dispose actuellement de peu d'options. «Poutine ne bombardera pas la région de Koursk comme il a bombardé Bakhmout», ville ukrainienne prise par la Russie au printemps 2023 au terme de mois de bombardements intenses et au prix de lourdes pertes, déclare l'analyste Tatiana Stanovaïa.

Il est difficile de dire combien de temps les Ukrainiens pourront tenir le terrain conquis, mais il est probable que leur incursion en terres russes durera «des mois», ajoute-t-elle. Moscou a une «chance» de reprendre ses territoires perdus, mais cela «prendra du temps», abonde M. Gabuev.

La Russie est en train de préparer sa réponse, selon les experts, qui rappellent que Vladimir Poutine n'aime pas se presser avant de riposter. «Nous saurons tôt ou tard comment Poutine se vengera», souligne M. Gabuev.

L'espoir de pourparlers

La couverture de la télévision d'Etat s'est pour l'heure concentrée sur l'angle humanitaire: les populations déplacées de la région de Koursk et les bénévoles qui leur viennent en aide.

La colère soulevée par la facilité avec laquelle les troupes ukrainiennes ont pénétré en territoire russe et la lenteur de la réaction du gouvernement sont, à l'inverse, restées contenues et essentiellement confinées aux familles touchées, observe M. Gabuev.

Les régions frontalières russes, dit-il, sont statistiquement les plus favorables à l'invasion russe et il est peu probable qu'elles se retournent contre le Kremlin.

Quant à Moscou, le choc s'y estompe rapidement après deux ans et demi de montagnes russes continuelles. «Ce n'est pas ressenti à l'échelle nationale et c'est simplement perçu comme un aspect de la guerre», note Mme Stanovaïa.

Mais les experts disent voir des signes montrant que le soutien à des négociations de paix est en hausse. «Dans les enquêtes réalisées ces six derniers mois, on relève une situation paradoxale. Les personnes interrogées disent à la fois: 'Nous soutenons tout, l'opération militaire spéciale [appellation officielle de la guerre, ndlr] était justifiée, mais il faut y mettre fin'», note M. Schulmann.

L'épisode de Koursk n'a «rien changé» à la «position radicale» du Kremlin, affirme Mme Stanovaïa, pour qui Vladimir Poutine n'arrêtera le combat «qu'à ses conditions».

ATS