Livres cachés dans la cuisine... Dans les écoles clandestines, les filles défient les talibans

ATS

11.8.2022 - 07:57

Nafeesa a trouvé l'endroit idéal pour cacher ses manuels scolaires: dans la cuisine, où les hommes s'aventurent rarement, et à l'abri du regard désapprobateur de son frère taliban.

Des femmes et des enseignants manifestent à l'intérieur d'une école privée pour réclamer leurs droits et l'égalité d'éducation pour les femmes et les filles, lors d'un rassemblement pour la Journée nationale des enseignants, dans une école privée de Kaboul, en Afghanistan, mardi 5 octobre 2021.
Des femmes et des enseignants manifestent à l'intérieur d'une école privée pour réclamer leurs droits et l'égalité d'éducation pour les femmes et les filles, lors d'un rassemblement pour la Journée nationale des enseignants, dans une école privée de Kaboul, en Afghanistan, mardi 5 octobre 2021.
KEYSTONE

«Les garçons n'ont rien à faire dans la cuisine, alors j'y range mes livres», explique Nafeesa, 20 ans, qui fréquente une école clandestine dans un village rural de l'est de l'Afghanistan. «Si mon frère l'apprenait, il me battrait», lance-t-elle.

Des centaines de milliers de filles et de jeunes femmes afghanes comme Nafeesa sont privées de toute possibilité de suivre une scolarité depuis le retour au pouvoir des talibans à Kaboul il y a un an. Les fondamentalistes islamistes ont imposé de sévères restrictions aux filles et aux femmes afin de les soumettre à leur conception intégriste de l'islam.

Elles ont été largement exclues des emplois publics et ne sont pas autorisées à faire de longs trajets sans être accompagnées d'un proche parent masculin.

Ecoles secondaires

Elles doivent se couvrir entièrement en public, y compris le visage, idéalement avec la burqa, un voile intégral avec une grille en tissu au niveau des yeux, largement porté dans les régions les plus isolées et conservatrices du pays. Avant même le retour au pouvoir des talibans, l'immense majorité des Afghanes étaient déjà voilées, ne serait-ce qu'avec un foulard lâche.

Pour les talibans, en règle générale, les femmes ne doivent quitter leur domicile qu'en cas d'absolue nécessité. Mais la privation sans doute la plus brutale a été la fermeture en mars des écoles secondaires pour filles dans de nombreuses régions, juste après leur réouverture pourtant annoncée de longue date.

En dépit des risques et parce que la soif d'apprendre reste intacte, des écoles clandestines ont rapidement vu le jour à travers tout le pays, souvent dans les pièces de maisons privées ordinaires.

«Nous voulons la liberté»

A 20 ans, Nafeesa, dont le prénom a été modifié pour préserver sa sécurité, étudie encore les matières du secondaire. Seules sa mère et sa soeur aînée savent qu'elle suit des cours, pas son frère, qui a combattu dans les montagnes pendant des années avec les talibans contre l'ancien gouvernement et les forces étrangères. Il n'est rentré chez lui qu'après la victoire des islamistes en août dernier.

Le matin, il lui permet de fréquenter une madrassa pour étudier le coran, mais l'après-midi, à son insu, elle se faufile dans une salle de classe clandestine organisée par l'association révolutionnaire des femmes d'Afghanistan (RAWA).

«Nous avons accepté ce risque, sinon nous resterions sans éducation», explique Nafeesa. «Je veux être médecin [...] Nous voulons faire quelque chose pour nous-mêmes. Nous voulons avoir la liberté, être utile à la société et construire notre avenir», clame la jeune femme.

Lorsque l'AFP s'est rendue à son cours, Nafeesa et neuf autres jeunes femmes discutaient de la liberté d'expression avec leur enseignante. Pour se rendre en classe, elles quittent souvent leur maison des heures plus tôt, empruntant des itinéraires différents pour éviter d'être remarquées, dans une région où les pachtounes sont l'ethnie majoritaire – comme au sein des talibans -, de tradition patriarcale conservatrice.

Pas justifié par l'islam

Si un combattant taliban leur demande où elles vont, les filles répondent qu'elles sont inscrites dans un atelier de couture et elles cachent leurs manuels scolaires dans des sacs à provisions ou sous leur abaya (ample robe noire).

Selon les érudits religieux, rien dans l'islam ne justifie l'interdiction de l'enseignement secondaire pour les filles. Un an après leur arrivée au pouvoir, les talibans insistent toujours sur le fait que les cours seront autorisés à reprendre, sans toutefois donner de calendrier.

La question a divisé le mouvement. Selon plusieurs sources interrogées par l'AFP, une faction radicale qui conseille le chef suprême des talibans, Hibatullah Akhundzada, s'oppose à toute scolarisation des filles ou, au mieux, souhaite qu'elle soit limitée aux études religieuses et aux cours pratiques, comme la cuisine et la couture.

L'explication officielle de l'arrêt du secondaire, avancée depuis le début, est qu'il s'agit d'une simple question «technique» et que les filles reprendront le chemin des collèges et lycées dès qu'un programme établi sur les règles islamiques sera défini.

Aujourd'hui, les filles vont toujours à l'école primaire et, jusqu'ici, les étudiantes peuvent fréquenter l'université, même si les cours y sont non mixtes.