Il n'ont nulle part où aller L'inquiétude pour le sud de l'Ukraine grandit: «Je n'ai pas la force de m'enfuir»

ATS

18.10.2024 - 08:03

Vassyl et Lilia Prouss ont déjà dû déménager trois fois et ce périple, d'une localité de l'est de l'Ukraine à une autre, les a menés jusqu'au village de Rozlyv, dans la région de Donetsk. Là, leur nouveau domicile a été démoli par une frappe russe.

Nina, une femme âgée, cuisine à l'intérieur de sa maison endommagée à la suite d'une récente attaque aérienne dans un village à l'extérieur de Kostyantynivka, dans la région orientale de Donetsk, le 16 octobre 2024, dans le cadre de l'invasion russe de l'Ukraine. (Photo par Roman PILIPEY / AFP)
Nina, une femme âgée, cuisine à l'intérieur de sa maison endommagée à la suite d'une récente attaque aérienne dans un village à l'extérieur de Kostyantynivka, dans la région orientale de Donetsk, le 16 octobre 2024, dans le cadre de l'invasion russe de l'Ukraine. (Photo par Roman PILIPEY / AFP)
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«Où est-ce qu'on devrait aller?», demande Vassyl à côté de son épouse, dans leur maison partiellement détruite. «Je ne sais pas. On n'a nulle part où aller. On est des réfugiés», répond-elle.

Les troupes russes sont une vingtaine de kilomètres de là, dans une zone qui fait la jonction entre les fronts est et sud. Au début octobre, elles y ont conquis la ville de Vougledar, une forteresse que les Ukrainiens continuaient de tenir depuis deux ans et demi.

Cette prise, dont les conséquences restent difficiles à prédire, illustre la situation précaire dans laquelle se trouve l'armée ukrainienne, moins nombreuse et moins bien équipée.

Frappes redoublées à Zaporijjia

Le pari osé de l'Ukraine d'attaquer la région russe de Koursk en août pour forcer la Russie à détourner ses troupes de l'est ukrainien n'a pour l'heure pas payé. Pour de nombreux villages de la zone, l'avancée russe à Vougledar signifie que l'intensité des frappes risque d'augmenter et que le danger d'une occupation se rapproche.

Mais pour Lilia Prouss, impossible de faire ses valises une fois de plus. «Je n'ai pas la force de m'enfuir», tranche cette femme de 46 ans. Le couple va donc s'installer dans la dépendance de sa maison, un peu moins endommagée.

La conquête de Vougledar, à elle seule, «ne changera pas radicalement» la situation dans la zone, a assuré au début octobre l'institut pour l'étude de la guerre (ISW), un centre de réflexion américain. Mais la prise de ce verrou, en hauteur et près de plusieurs routes importantes, donne un avantage tactique aux Russes.

A une cinquantaine de kilomètres plus au nord, ces derniers ne sont qu'à quelque huit kilomètres de Pokrovsk, un noeud logistique clé pour l'armée ukrainienne. Les Russes espèrent, en s'en emparant, accroître également la pression sur le front méridional, en direction de Zaporijjia, où les frappes se multiplient déjà.

Kourakhové en danger

«Si nous prenons cette ville [...] nous nettoierons tout l'axe sud de [la région de] Donetsk et mettrons la pression sur le groupement ennemi de Zaporijjia», a estimé mardi auprès de l'agence de presse russe Ria Novosti un représentant de l'occupation russe à Donetsk, Igor Kimakovski.

La cité industrielle de Kourakhové, dans la même région, semble quant à elle proche de tomber. Les troupes russes sont à ses portes, à une poignée de kilomètres du centre.

«Nous allons les contenir encore un peu», juge Iaroslav, sergent-chef dans une compagnie de la 110e brigade, qui opère dans les environs de Kourakhové. Mais cela dépend du ravitaillement en matériel et en munitions, dit-il.

Un soldat de la 33e brigade, Arkhip, fait le même constat, déçu de devoir travailler avec des véhicules qui ne fonctionnent pas toujours. «La guerre sera gagnée par la partie ayant la meilleure logistique», pense ce militaire de 40 ans.

Autre problème: le manque de nouvelles recrues. Ceux qui sont au front depuis deux ans et demi sont souvent épuisés et traumatisés, les nouveaux volontaires manquent, tandis que la mobilisation, malgré une nouvelle loi l'élargissant, reste poussive.

Bombes aériennes guidées

Arkhip explique avoir souffert de «crises de panique», à cause des bombardements et des mines antipersonnel. De son unité originelle, il dit être le dernier encore au front. «Ils envoient des gens, mais ce n'est toujours pas assez».

Dans les rues vidées de Kourakhové, des immeubles aux fenêtres soufflées succèdent à des tas de ruines. Lioubov Solod et son mari Ivan, 65 ans tous les deux, ont choisi de partir.

Pour lui, un adieu définitif à sa maison est trop dur à accepter. Peut-être sera-t-il possible de revenir un jour, «qui sait? L'espoir meurt en dernier».

Une partie de la famille Solod s'est réfugiée à Odessa, dans le sud-ouest de l'Ukraine. Mais cette grande cité portuaire est également prise pour cible avec une régularité croissante.

Plus à l'est mais toujours dans le sud, Zaporijjia est désormais touchée par les puissantes bombes aériennes guidées russes, celles-là même qui ont ravagé Vougledar notamment.

La situation est «mauvaise», note le psychologue Andriï Lastovliak, qui travaille dans un centre spécialisé de la ville, géré par l'ONG Project Hope. Il constate chez ses centaines de patients, un haut niveau d'anxiété et «différents types de névroses», comme des pensées obsessionnelles et des troubles du sommeil. Dans ces conditions, poursuit-il, difficile d'«imaginer un avenir».

ATS