Attentat de Moscou La Russie paye ses multiples confrontations avec les islamistes

ATS

30.3.2024 - 10:33

Le groupe Etat islamique (EI), auteur revendiqué de l'attentat près de Moscou, fait payer à la Russie son rôle en Afghanistan, en Syrie et en Afrique, ainsi que ses liens avec l'Iran. Cela alors que les services russes sont obnubilés par l'Ukraine.

Une veillée pour les victimes de l'attaque à Moscou.
Une veillée pour les victimes de l'attaque à Moscou.
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Keystone-SDA

Jeudi, les enquêteurs russes ont de nouveau accusé les auteurs de l'attaque, qui a fait au moins 144 morts, d'être liés à des «nationalistes ukrainiens».

Mais dans l'hebdomadaire officiel de l'EI, Naba, publié vendredi, un article sur l'attaque conseille à ceux qui sont «immergés dans les théories du complot» de «faire le plein de théories défaitistes» devant ce qui les attend, constate Laurence Bindner, co-fondatrice de JOS Project, plateforme d'analyse de la propagande extrémiste en ligne.

Les sympathisants, parallèlement, «ont protesté souvent avec irritation, parfois avec ironie, sur le fait que soit questionnée la responsabilité du groupe» dans l'attaque, ajoute l'experte à l'AFP.

Les services de sécurité russes ont par ailleurs affirmé que trois «ressortissants d'un pays d'Asie centrale» qui prévoyaient un attentat à la bombe dans le sud-ouest de la Russie ont été arrêtés vendredi.

Pléthore de griefs

Que l'EI ait frappé la Russie ne saurait surprendre: le pays constitue «une cible évidente pour des raisons historiques et contemporaines», souligne Jérôme Drevon, expert du djihad pour l'organisation de résolution des conflits Crisis Group.

«L'invasion de l'Afghanistan par l'Union soviétique en 1979 et la décennie d'occupation qui s'en est suivie suscite toujours la fureur chez beaucoup de djihadistes».

Moscou s'est ensuite engagé aux côtés du régime de Bachar al-Assad dans la guerre civile syrienne face aux groupes djihadistes. Et en Afrique, les mercenaires russes collaborent avec les militaires au pouvoir au Mali contre Al-Qaïda et l'EI.

Moscou, «avant-garde du monde chiite»

Depuis plusieurs années enfin, Moscou se rapproche de Téhéran, dont l'islam chiite est une abomination pour l'EI sunnite.

«L'EI perçoit la Russie comme l'avant-garde du monde chiite», résume Colin Clarke, directeur de recherche au Soufan Center, à New York. «Dans la liste de ceux qu'ils détestent le plus, les chiites sont au-dessus des Américains, d'Israël et des régimes dits apostats». Le groupe a revendiqué en janvier l'attentat de Kerman, en Iran, qui a fait 89 morts.

S'ajoute à cela un rapport profondément antagoniste avec les minorités musulmanes de Russie. Deux guerres en Tchétchénie en 1994 et en 2000 et l'intervention russe contre une insurrection islamiste au Daguestan, dans le nord-Caucase, ont laissé des traces.

«Approche schizophrène» de Moscou

Au delà, Frederik Kagan, chercheur pour l'American Enterprise Institute, décrit «l'approche schizophrène» de Moscou. Le Kremlin promeut un discours de concorde, dans un pays comptant quelque 20 millions de musulmans, tout en tolérant des discriminations massives visant les millions de migrants précaires venus d'Asie centrale et du Caucase.

L'armée russe a recruté dans les milieux immigrés et défavorisés en Russie pour sa guerre en Ukraine, offrant d'importantes soldes. Son contingent compte aussi des unités issues des républiques musulmanes du pays.

Mais le virage de Vladimir Poutine «vers une pseudo-idéologie ultranationaliste, russifiante et chrétienne orthodoxe a renforcé un mouvement anti-migrants», estime Frederik Kagan.

Tensions ethnico-religieuses croissantes

L'analyste ouzbek, Temur Umarov, décrit des tensions ethnico-religieuses croissantes depuis l'invasion de l'Ukraine en février 2022.

«La xénophobie est devenue la norme parmi les 'patriotes', les blogueurs militaires» soutenus par un «appareil de sécurité russe particulièrement anti-migrants» et une législation de plus en plus répressive, relève-t-il dans un article pour l'institut «Carnegie endowment for international peace».

Immense vivier à disposition

L'EI n'a pas formellement attribué l'attaque à l'EI-K, sa filiale afghane, suspect numéro un tant elle puise une grande partie de ses militants dans le Caucase et l'Asie centrale. Mais quelle que soit leur allégeance, les auteurs présumés sont des Tadjiks.

Les analystes consultés par l'AFP conviennent que la menace restera vive en Russie, au vu de l'immense vivier d'individus susceptibles de passer à l'action.

L'EI, depuis longtemps, vise les plus jeunes générations, souligne Andrei Serenko, expert russe de l'Afghanistan. Avant la pandémie de Covid-19, «les recruteurs de l'EI tentaient d'endoctriner des collégiens et des lycéens, entre 15 et 16 ans, au Kazakhstan», explique-t-il.

Il décrit «un culte romantique autour des récits djihadistes» et des propositions de formation à distance avant d'aller tuer en Russie. Le projet a échoué, mais l'intention était là.

Services de sécurité, cible faillible

Obnubilés par l'Ukraine, les services de sécurité russes représentent aujourd'hui une cible jugée faillible, quoiqu'en dise le Kremlin, préviennent nombre d'observateurs qui s'attendent à d'autres attentats.

Là encore, la djihadosphère est un indicateur significatif du risque. Laurence Bindner observe de vives réactions dans cette mouvance à la diffusion d'images de torture des assaillants présumés.

«A leurs yeux, la diffusion de ces tortures légitime a posteriori l'attaque du Crocus Hall et constitue un grief supplémentaire pour mobiliser afin de mener de nouvelles attaques».