«C’est très grave» Un flic et des journalistes au coeur d'une affaire d'Etat en Italie

AFP

8.3.2024

Un flic antimafia sur la corde raide et des journalistes visés par une enquête à cause de leurs sources : ce n'est pas le scénario du dernier John le Carré mais une authentique affaire d'Etat qui fait scandale en Italie.

La cheffe du gouvernement Giorgia Meloni a vivement réagi à cette affaire.
La cheffe du gouvernement Giorgia Meloni a vivement réagi à cette affaire.
ats

AFP

8.3.2024

Quatre journalistes font l'objet d'un enquête pour avoir bénéficié des accès illégaux de ce policier aux données de plus de 150 personnalités, responsables politiques et gros portefeuilles, parmi lesquels le footballeur portugais Cristiano Ronaldo, le rappeur Fedez ou encore Marta Fascina, la dernière compagne de Silvio Berlusconi.

La genèse de cette histoire remonte à 2022, lorsque le quotidien Domani publie une enquête sur les revenus de Guido Crosetto, qui vient à peine d'être nommé ministre de la Défense et porte plainte par la suite.

Etrange personnage

L'enquête démarre et aboutit sur un étrange personnage : Pasquale Striano, un officier de la police financière italienne détaché auprès de la Direction nationale antimafia (DNA).

Entre novembre 2019 et novembre 2022, ce policier a profité de son poste pour entrer des dizaines de milliers de fois dans toutes les banques de données dans le cadre d'"une recherche effrénée d'informations", selon le procureur de Pérouse chargé de l'enquête, Raffaele Cantone.

Certains autres accès injustifiés sont le résultat d'une instruction d'un magistrat, lui aussi visé par l'enquête.

Parmi ces banques de données figure la SIDDA, qui regroupe les informations sur toutes les enquêtes et procédures judiciaires en cours, mais également celles de la DNA concernant les opérations financières suspectes.

Vu le nombre extrêmement élevé de ces accès, le parquet de Pérouse et les forces de l'ordre ont décidé de l'inculper pour 800 intrusions où apparaissent des «noms de personnes médiatiquement sensibles, appelées aussi les VIP», 165 personnes au total, a expliqué jeudi M. Cantone devant la Commission antimafia de la Chambre des députés.

Il est soupçonné d'accès abusif à un système informatique et de révélation d'informations de service, a-t-il précisé.

A l'heure actuelle, les raisons pour lesquelles il a agi ainsi restent un mystère car il a refusé de répondre à M. Cantone, qui n'a pas été en mesure jusqu'à présent de trouver des éléments faisant penser à une motivation financière.

Espionnage «à la soviétique»

Quatre autres personnes, celles qui recevaient les informations de Pasquale Striano, sont également visées par l'enquête et c'est leur statut qui envenime l'histoire.

Il s'agit en effet de quatre journalistes, dont trois de Domani, un petit quotidien de gauche qui se livre régulièrement à des attaques contre des responsables politiques de tous bords mais avec une prédilection pour ceux de droite.

Le journal a ainsi affirmé que le ministre de la Défense Guido Crosetto avait perçu entre 2018 et 2021 environ 2,3 millions d'euros de sociétés du secteur de l'armement, entraînant de fait un conflit d'intérêts.

Selon Domani, cette enquête constitue «un avertissement à Domani et à tous les journalistes», les siens risquant jusqu'à cinq ans de prison pour «accès abusif à un système informatique (...) de révélation de secrets».

Elle représente également une menace pour la liberté de la presse car elle vise les sources des journalistes, selon le quotidien, alors que l'Italie occupe la peu glorieuse 41e place dans le classement de l'ONG Reporters sans frontières (RSF) évaluant la liberté de presse dans 180 pays.

Réactions virulentes

Les réactions les plus virulentes sont venues de responsables politiques d'extrême droite.

«Je pense franchement que c'est très grave qu'il y ait en Italie des fonctionnaires de l'Etat qui passent leur temps à violer la loi en faisant des contrôles sur des citoyens (...) pour les passer ensuite à la presse», a estimé la cheffe du gouvernement Giorgia Meloni devant des journalistes.

«Utiliser de cette manière les banques de données publiques n'a rien à voir avec la liberté de presse», a-t-elle insisté.

La Ligue antimigrants de son vice-Premier ministre Matteo Salvini a, quant à elle, dénoncé «un espionnage illégal de type soviétique»

A gauche, la cheffe du Parti démocrate (PD, principal parti d'opposition) Elly Schlein s'est aussi insurgée contre «un scandale d'une gravité incroyable». «Il est indispensable que ce genre de choses ne se reproduise plus», a-t-elle martelé.