Strasbourg Expert psychiatre radié après des expertises contestées

ATS

10.1.2025 - 17:19

Même sanctionné, il continuait à produire des centaines d'expertises pour la justice, l'administration ou les assurances, dans un contexte de pénurie de praticiens: le psychiatre strasbourgeois Henri Brunner a finalement été radié de l'Ordre des médecins vendredi.

Bien que sanctionné et ayant dépassé l'âge limite, le docteur Brunner continuait d'effectuer des examens, sous le statut d'expert «honoraire» (image d'illustration).
Bien que sanctionné et ayant dépassé l'âge limite, le docteur Brunner continuait d'effectuer des examens, sous le statut d'expert «honoraire» (image d'illustration).
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Keystone-SDA

La décision a été prise par la chambre disciplinaire de l'Ordre des médecins du Grand Est, à l'issue d'une procédure qui rassemblait sept plaintes à l'encontre de ce docteur de 76 ans, accusé de mener des examens «expéditifs», de tenir des propos «humiliants» pour les patients, de manquer d'impartialité dans ses expertises et de trahir le secret professionnel.

«C'est une décision qui est juste et qui rend justice à toutes les victimes», a réagi auprès de l'AFP Caroline Roeser, co-auteure d'une plainte collective avec quatre autres psychiatres. «Ca a été un long combat, et c'est important qu'il n'y ait plus d'autres victimes. C'est ce pour quoi on s'est battu.»

Chose rare, l'Ordre des médecins du Bas-Rhin s'était associé à la procédure pour demander sa radiation, lors de l'audience qui s'est tenue à Nancy le 13 décembre, comme l'a révélé Rue89 Strasbourg.

«Indépendant»

Henri Brunner n'a pas pu être joint vendredi. Il contestait les accusations formulées à son encontre.

«Moi je suis indépendant», répliquait-il à ceux qui lui reprochaient de rendre systématiquement des conclusions allant dans le sens de ses mandataires. «Ce qui me cause des ennuis, c'est que je ne suis pas complaisant. Je suis intransigeant», assurait-il à l'AFP mercredi.

Patients «mis en danger»

Mandaté pour des expertises par des assurances, Henri Brunner «a été, au fil des années, de plus en plus violent. Il remet en cause des diagnostics, des protocoles de soin. Sa pratique va à l'encontre de nombreux patients, qu'il met en danger», estime le docteur Georges Federmann, qui avait initié une des plaintes.

«Ma cliente est sortie en larmes de l'examen, le docteur Brunner avait été hautain, désagréable et injurieux», explique Thomas Hellenbrand, avocat d'une autre plaignante, enseignante expertisée à la demande de sa compagnie d'assurance dans le contexte d'une dépression.

«Il a perdu pied par rapport à la réalité», poursuit-il. «Il avait estimé qu'elle n'était pas dépressive parce qu'elle se souvenait de la date de décès de ses parents, qu'elle avait des tatouages et un parfum 'entêtant'. Ce qu'il écrit est invraisemblable.»

Déjà sanctionné

En 2018 et 2019, la Chambre disciplinaire de l'Ordre des médecins avait déjà sanctionné Henri Brunner d'un blâme puis d'un avertissement.

Dans sa décision du 16 mars 2018, relative à la plainte d'une patiente qui dénonçait l'attitude «agressive et humiliante» du médecin, la Chambre avait conclu à une «violation» des obligations professionnelles, et mentionné les «nombreux signalements» faisant état «d'une attitude agressive et méprisante à l'égard de patients».

«Les signalements se comptent en dizaines, voire en centaines», a indiqué une source médicale à l'AFP. Sollicité sur ce point, le président de l'Ordre départemental des médecins, Guy Birry, n'a pas souhaité répondre.

Toujours sur la liste des médecins agréés

Ces sanctions n'avaient pas empêché Henri Brunner de continuer à figurer sur la liste des médecins agréés par la préfecture du Bas-Rhin, et sur la liste des experts judiciaires d'Alsace, contrairement à ce que prévoit la réglementation.

«Je n'ai jamais été informé de sanctions ordinales prises à l'encontre du docteur Brunner», expliquait Jean-Luc Jaeg, avocat général à la Cour d'appel de Colmar, chargé d'établir les listes d'experts judiciaires. La préfecture, elle, n'a pas répondu aux sollicitations.

Bien que sanctionné et ayant dépassé l'âge limite, le docteur Brunner continuait donc d'effectuer des examens, sous le statut d'expert «honoraire». «Ca n'a pas changé mon activité», reconnaissait-il mercredi. En 2024, «j'ai réalisé 399 expertises» rien qu'au pénal, «et déposé 40 fois aux assises», en plus de son activité libérale.

«Grave pénurie d'experts»

Cette sur-sollicitation était liée à la «grave pénurie d'experts», explique un magistrat sous couvert d'anonymat. «Si vous êtes juge d'instruction, que vous êtes tenu par des délais et que vous devez faire réaliser une expertise obligatoire, vous allez à celui qui va la rédiger le plus rapidement, peu importe le contenu... et parfois ça fait peur».

En dix ans en France, leur nombre est passé d'environ 1000 à 350, indique la Compagnie nationale des experts psychiatres près les cours d'appel.

«Et pourtant les procédures prévoient des expertises dans de plus en plus de cas», souligne le docteur Laurent Layet, président de la Compagnie, qui déplore que les propositions pour réformer l'activité n'aient jamais été entendues.