Témoignage Protoxyde d'azote: le gaz qui ne fait plus rire

ATS

18.10.2023 - 11:24

«Parler, conduire, marcher, tout est devenu difficile»: Vincent, un ambulancier français de 37 ans, a failli devenir paraplégique après avoir inhalé du protoxyde d'azote ou «gaz hilarant». Les effets sur la santé de cette substance, à la popularité croissante, peuvent être destructeurs.

Brûlures, asphyxies mais aussi problèmes neurologiques, voire cardiaques ou psychiatriques: les cas de troubles graves liés à la consommation de protoxyde d'azote ont explosé ces dernières années. En France, environ 200 cas préoccupants ont été signalés en 2020.
Brûlures, asphyxies mais aussi problèmes neurologiques, voire cardiaques ou psychiatriques: les cas de troubles graves liés à la consommation de protoxyde d'azote ont explosé ces dernières années. En France, environ 200 cas préoccupants ont été signalés en 2020.
imago images/Hans Lucas

«Je ne me rendais pas compte. On me disait: 'Ne t'inquiète pas. Il n'y a pas d'addiction'», raconte ce jeune père, qui a commencé à consommer ce gaz au début 2020, pendant une mauvaise passe et alors qu'il tentait de s'affranchir du cannabis.

«J'ai la haine contre ce produit dévastateur», enrage cet habitant de Lille (nord). Facile à se procurer sur Internet, le protoxyde d'azote est utilisé dans les siphons en cuisine, comme analgésique en médecine et de plus en plus souvent à des fins récréatives.

Pendant des mois, Vincent – un nom d'emprunt – inhale chaque soir une bonbonne de 600 grammes, seul dans sa chambre. En juillet dernier, il se retrouve «paralysé des membres inférieurs et des mains».

Emmené en chaise roulante

Les secours m'ont «emmené en chaise roulante. J'ai été hospitalisé 10 jours», raconte-t-il. Il découvre alors que la moitié de sa moelle épinière est sclérosée.

Brûlures, asphyxies mais aussi problèmes neurologiques, voire cardiaques ou psychiatriques: les cas de troubles graves liés à la consommation de protoxyde d'azote ont explosé ces dernières années. En France, environ 200 cas préoccupants ont été signalés en 2020.

Grâce à la rééducation, Vincent a recommencé à marcher, mais il souffre toujours de fourmillements incessants, de pertes de mémoire et de faiblesse musculaire. Il devrait rester sous traitement anti-douleur «au moins pendant les 10 ou 15 prochaines années»: «J'ai tout arrêté. Mais un peu trop tard», dit-il.

Après les capsules métalliques de 75 grammes pour siphons, détournées par des adolescents ou des fêtards pour une brève euphorie, depuis trois ans, sont apparues des «bonbonnes» de 600 grammes à la publicité clairement festive, puis des «tanks» de plusieurs kilogrammes, ouvrant la voie à une consommation intensive.

Répression limitée

Les consommateurs remplissent des ballons de baudruche grâce à une sorte de buse installée au goulot du contenant, avant de les inhaler. Certains le consomment en posant un mouchoir directement sur le goulot, avec un risque accentué de brûlures par le gaz glacial.

Une loi adoptée en mai 2021 interdit la vente de ce psychotrope aux mineurs et sa commercialisation dans les débits de boissons et tabac. Mais la répression reste faible.

«On en est au début. Il faudra quelques décisions de justice pour se caler», explique à l'AFP Benoît Aloé, chef de la sûreté urbaine de Lille, dont les équipes effectuent régulièrement des rappels à la loi. Le trafic s'est organisé, comme en attestent des saisies importantes: plus de 15 tonnes en neuf mois en France, entre juin 2021 et février 2022, selon la police judiciaire.

En soirée, «c'est bien vu» de proposer du protoxyde d'azote pour «emballer les filles», explique le Dr Jean-Paul Guichard, qui intervient en prison. «Il ne laisse pas d'odeur, contrairement au cannabis et à l'alcool», ce qui facilite selon lui la consommation par les femmes.

Troubles de l'érection

En prison, le médecin a rencontré un revendeur et consommateur aujourd'hui en fauteuil roulant, sans espoir de remarcher un jour, faute de prise en charge rapide. L'homme s'était présenté aux urgences avec des troubles moteurs, mais le lien avec ce produit n'était alors que peu connu. Il avait été orienté vers un neurologue pour un rendez-vous deux mois plus tard.

Pour mieux comprendre et soigner les troubles liés au «proto», le centre hospitalier de Lille a lancé courant 2021 un groupe d'études pionnier. Il rassemble neurologues, biologistes, métaboliciens, mais aussi psychiatres, addictologues et pédiatres, qui échangent sur leurs expériences et lancent des pistes de recherches, notamment sur les effets à long terme.

«On ne sait pas toujours pourquoi certains ont des troubles après une consommation relativement faible», indique le biologiste Guillaume Grzych. «Ni pourquoi un nombre croissant de consommateurs présentent des thromboses», ces caillots sanguins qui bouchent des veines, avec risque d'embolie.

Arrivés aux urgences, «certains paraissent ivres, ne marchent plus droit», explique le Dr Céline Tard, neurologue. «Parfois ils doivent se tenir au mur» ou avancer avec un déambulateur. «Il y a aussi des troubles de l'érection, de la mémoire», ajoute la spécialiste. «On ne connaît pas encore toutes les conséquences de ce produit sur la santé.»