Agressions sexuellesLe calvaire des femmes sur le chemin de Compostelle: trois témoignages glaçants
Lea Oetiker/trad
11.11.2024
Le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle attire chaque année des centaines de milliers de personnes. Alors que de plus en plus de femmes se lancent dans ce pèlerinage mythique, les témoignages troublants se multiplient.
Lea Oetiker/trad
11.11.2024, 23:12
11.11.2024, 23:28
Lea Oetiker
Au printemps 2015, une affaire de meurtre a ébranlé la communauté des pèlerins. L'Américaine Denise Pikka Thiem a soudainement disparu lors de son pèlerinage sur le chemin de Saint-Jacques dans la région de León, au nord de l'Espagne. Son corps a été retrouvé cinq mois plus tard. Elle avait été tuée par un homme de la région.
Régulièrement, des femmes font état d'agressions et de harcèlement lors de leur pèlerinage. Sur un groupe Facebook dédié, les victimes partagent leurs expériences.
Lorena Gaubor, la fondatrice du groupe, affirme que les témoignages sont choquants, mais pas surprenants. «Le harcèlement sexuel est très répandu sur le chemin. C'est très fréquent. Chaque putain d'année, nous recevons des rapports de femmes à qui il arrive la même chose», a-t-elle déclaré.
Le «Guardian» s'est entretenu avec neuf femmes qui ont raconté leur expérience sur le chemin de Saint-Jacques. Voici trois témoignages.
«Je pensais que j'allais mourir»
En 2019, Sara Dhooma raconte avoir été suivie par un homme alors qu'elle traversait un village. Après s'être réfugiée dans un café, elle a constaté que l'homme l'attendait dehors. Lorsqu'il l'a vue, il a ouvert la fermeture éclair de son pantalon et «s'est saisi des parties génitales».
«Je me suis sentie très, très en insécurité à ce moment-là», se souvient-elle. Dhooma s'est enfuie, mais l'homme l'a poursuivie jusqu'à ce qu'elle trouve refuge dans une maison où elle a crié à l'aide. «Je ne savais pas s'il avait une arme, je ne savais pas ce qu'il allait faire», dit-elle. «Je pensais que j'allais mourir, je pensais qu'il allait me faire du mal», poursuit-elle. Par chance, la maison appartenait à un policier hors service qui l'a protégée.
Il s'est avéré que son agresseur portait un couteau et des munitions et avait déjà été condamné pour viol. «Sans cette maison, je ne sais pas ce qui aurait pu se passer», confie-t-elle.
Rosie, 25 ans, a elle aussi été victime de harcèlement en début d'été alors qu'elle marchait sur un sentier boisé au Portugal. «Il était 7 heures du matin et il n’y avait personne aux alentours. Je n'avais pas croisé une voiture depuis 15 minutes», se rappelle-t-elle.
Soudain, un homme est apparu et s'est mis à se masturber tout en la suivant. Elle a tenté d'appeler la police, mais la mauvaise réception l'a empêchée de les joindre. «C'était terrifiant», confie-t-elle. «Je me sentais totalement seule à ce moment-là.»
Marie Albert, journaliste et auteure, a documenté plusieurs agressions durant une randonnée de 700 kilomètres en Espagne. Un homme a tenté de l'embrasser, un autre s'est masturbé devant elle, certains l'ont harcelée par SMS ou suivie dans la rue. «Ces chemins sont réputés sûrs pour les femmes, mais il existe un tabou autour des dangers réels», déplore-t-elle.
Un phénomène en hausse
L'année dernière, 446'000 pèlerins ont emprunté le chemin, dont plus de la moitié étaient des femmes. Cette hausse du nombre de pèlerines s'accompagne d'une augmentation des cas de harcèlement, d'exhibitionnisme, voire de violences plus graves.
Malgré l'ampleur du phénomène, les autorités françaises, espagnoles et portugaises ne tiennent pas de statistiques spécifiques sur ces incidents. Parmi les femmes interrogées par le «Guardian», seules six ont signalé leurs expériences à la police, et un seul agresseur a pu être poursuivi.