Violences vicariantes «Jamais, je ne l'aurais imaginé» - Des enfants victimes pour punir la mère

AFP

17.7.2024

Début juillet à Paris, une double tentative d'infanticide a fait rejaillir le concept de «violences vicariantes»: des violences conjugales par procuration qui peuvent aller jusqu'au meurtre et remettent en question l'exercice d'une autorité parentale partagée.

Selon les derniers chiffres disponibles, 12 enfants ont été tués en 2022 «dans un contexte conjugal» en France (image d’illustration).
Selon les derniers chiffres disponibles, 12 enfants ont été tués en 2022 «dans un contexte conjugal» en France (image d’illustration).
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Avant le choc de la récente affaire survenue dans le 14e arrondissement, où deux enfants nés en 2019 et 2021 ont survécu à une défenestration, d'autres enfants ont succombé ces derniers mois.

En novembre à Alfortville (Val-de-Marne), en décembre à Meaux, puis mi-avril dans l'Essonne, trois pères de famille ont tué leurs enfants. Samedi, un homme soupçonné du meurtre de sa belle-fille Célya, 6 ans, a été arrêté et interné en psychiatrie. Dans la plupart des cas, des éléments évoquent un contexte de séparation conflictuelle. Le concept de violences vicariantes, répandu en Espagne, offre un éclairage particulier à ces crimes, en les liant aux violences conjugales.

Définies par la psychologue argentine Sonia Vaccaro, elles sont une «forme de violence que l'agresseur de la femme utilise quand il n'a plus accès à elle, souvent lors de la séparation», ayant alors «recours à un intermédiaire pour lui faire mal», souvent l'enfant du couple ou de la femme.

«Contrôle coercitif»

Si cette terminologie n'est pas encore répandue en France, ses traductions les plus extrêmes, les infanticides, sont comptabilisés annuellement dans l'étude nationale sur les morts violentes au sein du couple, publiée par le ministère de l'Intérieur.

Selon les derniers chiffres disponibles, 12 enfants ont été tués en 2022 «dans un contexte conjugal», dont quatre sans qu'aucun des deux parents ne soit tué.

Après la mort de Léa, 3 ans, tuée par son père en 2016, Luc Hintermann, l'avocat de la mère de la victime se souvient de sa cliente sous le choc lui disant: «J'aurais pu penser qu'il s'en prenne à moi. Mais à Léa, jamais, je ne l'aurais imaginé». Devant la cour d'assises de Haute-Savoie, l'avocat général Philippe Toccanier avait d'ailleurs qualifié le meurtre de «crime conjugal par procuration».

Mais pour Hauteclair Dessertine, secrétaire adjointe et référente «Femmes en danger» de l'Union nationale des familles de féminicides (UNFF), il est «plus qu'urgent» que les violences vicariantes soit mieux connues.

Car en dehors des meurtres, «il y a des pères violents qui gardent un contrôle à travers l'enfant, qui vont lui faire subir des maltraitances, l'utiliser pour atteindre la mère. Il peut s'agir de demander la garde, ne jamais le ramener à l'heure, ne pas payer la pension, ne pas venir le chercher», détaille-t-elle.

Maîtresse de conférence en psychologie sociale à l'Université Paris Nanterre, Andreea Gruev-Vintila insiste sur le fait que ces violences «ne sont jamais isolées». Cette spécialiste du sujet évoque une autre notion, celle de «contrôle coercitif», pour montrer la continuité de violences exercées sur les femmes par un conjoint. Elle pointe également le partage de l'autorité parentale comme instrument privilégié des conjoints violents: «C'est souvent un boulevard pour la continuation du contrôle coercitif post-séparation.»

Autorité parentale

Depuis quelques années, la justice tend à faire évoluer son regard sur ce type d'affaires. Dans les cas les plus graves de violences conjugales, et dans les cas d'inceste, le principe est désormais celui du retrait partiel ou total de l'autorité parentale, depuis une loi de mars 2024.

«La tendance lourde» est à «l'acceptation de l'idée qu'il n'est plus possible d'exercer conjointement l'autorité parentale avec un conjoint violent», témoigne Anne Bouillon, avocate spécialisée en droit des femmes. Malgré des décisions de justice encore hétérogènes, elle salue en la matière une évolution favorable aux victimes et mieux à même de protéger les enfants, reconnus depuis 2018 co-victimes des violences conjugales subies par un de leurs parents.

La magistrate Laëtitia Dhervilly, haute fonctionnaire à l'égalité femme-homme, met aussi en avant la création en juin d'une «ordonnance de protection immédiate». Celle-ci permet aux victimes de demander au juge de statuer en 24 heures en cas notamment de danger grave concernant leur enfant.

Quant au ministère de la Justice, il vante la mise en place de pôles consacrés aux violences intrafamiliales dans tous les tribunaux depuis janvier, qui doivent permettre de centraliser les informations. Selon un rapport de la Fondation pour l'enfant de 2022, 143.000 enfants vivraient dans un foyer touché par des violences conjugales déclarées.