RussieIoulia Navalnaïa, femme forte et digne d'Alexeï Navalny
ATS
18.2.2024 - 18:05
Cela faisait deux ans que Ioulia Navalnaïa n'avait pas vu son mari, l'opposant russe Alexeï Navalny, quand elle a pris la parole à Munich, juste après l'annonce de sa mort en prison.
18.02.2024, 18:05
18.02.2024, 22:54
ATS
Les larmes aux yeux, celle qui a partagé sa longue et douloureuse bataille contre le Kremlin a pris une profonde inspiration.
«Si c'est la vérité, je voudrais que Poutine, tout son personnel, tout son entourage, tout son gouvernement, ses amis, sachent qu'ils seront punis pour ce qu'ils ont fait à notre pays, à ma famille et à mon mari», a-t-elle dit, la voix ferme mais débordante d'émotion.
«Et ce jour viendra très bientôt», a asséné Ioulia Navalnaïa, 47 ans, cheveux blonds rassemblés, comme toujours, dans un chignon serré.
Avec Alexeï Navalny, elle a vécu l'espoir des grandes manifestations qu'il a mobilisées en Russie, l'angoisse d'un empoisonnement auquel il a survécu de justesse en 2020 et un retour à Moscou quelques mois plus tard, ensemble et tête haute.
Dès son atterrissage, il avait été arrêté. Malgré la peine de 19 ans de prison prononcée contre lui et ses terribles conditions de détention, Ioulia Navalnaïa gardait espoir.
«J'espère et je crois que je verrai Alexeï libre. Rien n'est impossible quand vous êtes amoureux», avait-elle dit l'an dernier au quotidien allemand Der Spiegel.
A mesure que son bras de fer avec le Kremlin se faisait de plus en plus risqué, l'opposant disait qu'il en serait incapable sans sa femme. Son dernier message public était un mot d'amour, pour la Saint-Valentin: «je sens que tu es avec moi à chaque seconde».
Ioulia Navalnaïa, pour sa première publication sur les réseaux sociaux après le décès de son mari, a choisi une photo où il l'embrasse sur le front. En légende, «je t'aime».
Personnalité publique
Contrairement à Vladimir Poutine, dont la vie privée tient du secret d'Etat, le couple mettait en avant son quotidien en famille.
Et Ioulia Navalnaïa est donc devenue, comme son mari, une personnalité publique. Sa notoriété a même poussé certains des partisans d'Alexeï Navalny à lui rêver un avenir politique, même avant qu'il ne soit derrière les barreaux.
Elle a jusqu'ici balayé cette idée, se décrivant comme une mère et une compagne avant tout. Mais beaucoup se demandent qui d'autre pourrait unir une opposition décimée, poussée à l'exil et privée de tête de proue. Son discours, après l'annonce du décès de son mari, a assis son image de femme forte.
«Le faire sortir de Russie»
En 2020, Ioulia Navalnaïa avait vu Alexeï Navalny échapper de peu à la mort, empoisonné en Sibérie par une substance de «type Novitchok», un puissant agent innervant, selon une analyse européenne.
Elle avait réussi à lui faire quitter la Russie pour l'Allemagne alors qu'il se trouvait dans le coma, aux mains de médecins locaux qui refusaient de le laisser partir.
«A chaque moment quand on était là, je me disais 'je dois le faire sortir'», a-t-elle dit, accusant les médecins d'avoir fait traîner le processus jusqu'à ce qu'il meure ou que le produit neurotoxique ne soit plus détectable.
«Apportez-nous de la vodka»
Cinq mois plus tard, elle était tout aussi imposante quand le couple est rentré à Moscou en sachant très bien que ce voyage se terminerait en prison.
«Garçon, apportez-nous de la vodka, on rentre à la maison», avait-elle dit dans l'avion, filmée aux côtés d'Alexeï Navalny, rejouant une scène d'un film russe culte.
Le couple avait été séparé au contrôle des passeports, à l'arrivée. Après une rapide étreinte avec son mari, embarqué par la police et qu'elle ne reverrait plus jamais libre, elle avait été accueillie à l'aéroport par une foule clamant «Ioulia!».
«Figure politique»
Alors qu'il se remettait sur pieds en Allemagne, après son empoisonnement, Alexeï Navalny avait dit en plaisantant que les vues de sa femme étaient plus radicales que les siennes.
«Quand vous n'êtes pas en politique mais que vous voyez les choses les plus sombres commises contre votre famille alors, bien sûr, ça vous radicalise», expliquait-il.
Quand Alexeï Navalny était en prison, Ioulia Navalnaïa avait assuré qu'elle ne suivrait pas les traces de Svetlana Tikhanovskaïa, devenue la cheffe de l'opposition bélarusse quand son mari avait été placé en détention.
Mais pour la politologue Tatiana Stanovaïa, «que Ioulia Navalnaïa le veuille ou non, elle devient une figure politique».