La côte s'effrite Ce village anglais refuse de disparaître: «Pourquoi ne nous aident-ils pas?»

AFP

22.7.2024 - 08:12

Kevin Jordan, retraité anglais, pensait passer des années bercé par le bruit des vagues dans sa maison du Norfolk (est). Mais celle-ci a dû être brutalement démolie en novembre à cause d'une érosion côtière galopante. Il a tout perdu du jour au lendemain.

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Cet ancien ingénieur, qui dit ne pas avoir reçu «un centime» d'aide de la part de l'Etat, s'est associé à l'action en justice de l'ONG Friends of the Earth, qui accuse le gouvernement de ne pas suffisamment protéger les Britanniques des impacts prévisibles du changement climatique.

Comme les dizaines d'habitations qui surplombent la plage d'Hemsby, station balnéaire anglaise typique avec ses manèges et stands de fish and chips, sa petite maison grise était perchée sur une fragile falaise de sable et d'argile.

Il y a encore quelques mois, une route permettait d'aller jusqu'à sa porte d'entrée. Désormais, le tracé du bitume termine dans le vide et une barrière orange empêche d'aller plus loin.

Au bord du précipice en une nuit

«En novembre, une tempête nous a pris par surprise. Elle est devenue de plus en plus féroce [...] et on pouvait entendre des morceaux de la falaise tomber dans la nuit», se souvient le retraité de 71 ans. Le lendemain matin, celle-ci avait reculé de plusieurs mètres, emportant une partie de la route, et laissant la maison de Kevin Jordan à quelques pas du bord.

Selon un rapport remis en février au conseil du Norfolk, cette côte britannique étendue sur 150 kilomètres est l'une de celles qui connaissent la plus forte érosion de tout le nord-ouest de l'Europe.

La mer pourrait monter de 1,15 mètre d'ici à la fin du siècle et, si rien n'est fait, près de 1000 maisons et commerces auront disparu d'ici à 2105 dans le nord de cette région.

Après avoir perdu sa compagne il y a une quinzaine d'années, Kevin Jordan, électricien spécialiste des sous-marins, avait décidé de changer de vie et d'acheter cette petite maison face à la mer du Nord. Cet amoureux de la mer connaissait le risque d'érosion, mais les experts lui donnaient à l'époque au moins un siècle de tranquillité.

Recul de 10 cm par année

Après la violente tempête de novembre, ce Britannique et quatre de ses voisins ont reçu une lettre annonçant qu'ils devaient faire leurs cartons et que leurs maisons seraient démolies sous une semaine.

Aucun dispositif n'est prévu pour dédommager les victimes de l'érosion côtière au Royaume-Uni. La seule solution proposée à ce retraité à la santé fragile a été de louer un petit logement social à quelques kilomètres de là.

Face à sa fenêtre, des immeubles en briques bouchent son horizon. «Avant il n'y avait que la mer, je n'avais pas de rideaux et je voyais les lumières des bateaux la nuit... c'était fabuleux».

En 2020, l'organisme scientifique spécialiste des océans MCCIP estimait que 28% des côtes anglaises et galloises reculent d'au moins 10 centimètres chaque année sous l'effet de l'érosion, qui s'accélère avec le réchauffement climatique. Celui-ci provoque une élévation du niveau de la mer et une multiplication des tempêtes, en hiver mais aussi désormais en été.

Ville fantôme

Les habitants d'Hemsby – environ 4000 à l'année et trois fois plus l'été avec les touristes – ont le sentiment que leur sort n'est pas une priorité pour les pouvoirs publics. «Pourquoi ne nous aident-ils pas? Les gens répètent que nous aurions dû savoir, mais il n'y avait aucun moyen d'anticiper cette situation il y a dix ans», déplore Lorna Bevan, la patronne du pub The Lacon Arms.

Dans ce qui est devenu le quartier général de l'association «Save Hemsby Coastline» ("sauvons la côte d'Hemsby"), celle-ci déploie une carte de 1977, où une centaine de maisons ont déjà été rayées.

Avec ce groupe d'habitants soudés, elle lutte pour faire changer la manière dont le gouvernement attribue les financements pour construire de coûteuses défenses maritimes sur la côte. Hemsby n'y a pas droit, car la valeur de ses commerces, maisons et bungalows n'est pas jugée suffisante.

Kevin Jordan, de son côté, a choisi de porter leur combat à l'échelle nationale en rejoignant l'action en justice de Friends of the Earth mardi et mercredi devant la haute cour de Londres. Cette ONG affirme que le plan d'adaptation climatique du Royaume-Uni est insuffisant pour protéger ses habitants.

Si rien ne change, prévient le retraité, les petites communautés balnéaires britanniques disparaîtront et «Hemsby deviendra une ville fantôme».

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