Terrorisme«Cet enfant me hante tout le temps» - Ils ont été témoins de l’horreur
AFP
20.12.2024
«Je n'oublierai jamais»: des années après avoir été témoins de l’horreur du terrorisme, les survivants d'attentats, comme Caroline, peinent à se reconstruire et empruntent, chacun à leur manière, un chemin long et douloureux pour tenter de renouer avec un quotidien ordinaire.
AFP
20.12.2024, 07:46
20.12.2024, 11:25
Gregoire Galley
Au mois de mai dernier, neuf ans après les attaques du 13 novembre 2015, Fred Dewilde, rescapé de l'attentat du Bataclan, s’est donné la mort. L'association Life For Paris, dont il était l'un des piliers, évoquait alors «le sournois poison répandu par les terroristes», qui l'ont «tué une deuxième fois».
Il s'agit du 3e suicide qui survient dans la communauté des survivants du 13-Novembre. Un triste décompte qui témoigne de la difficulté de ces victimes à se reconstruire après avoir vu la mort de trop près.
Une partie de Caroline s'est éteinte sur la promenade des Anglais le 14 juillet 2016, quand elle a vu un camion la frôler et emporter sur sa route meurtrière le corps d'un bébé. «Cet enfant me hante tout le temps. Je me reconstruis, mais je n'oublierai jamais», confie cette Niçoise de 66 ans à l'AFP.
«Je n'ai pas pu toucher mon petit-fils avant son premier anniversaire», poursuit-elle, rongée par le souvenir de cet enfant fauché par le terrorisme. Après des années de thérapie et un traitement médicamenteux dont elle essaye de se défaire, Caroline parle d'une «reconstruction qui n'en est pas une».
«Tsunami psychique»
«On ne peut pas parler de guérison», confirme la psychologue spécialisée dans les traumatismes liés au terrorisme Asma Guenifi, qui parle plutôt de processus d'"apaisement". Un attentat, c'est «un tsunami psychique qui vient désordonner durablement toute votre vie», résume la clinicienne.
«Il y a des jours où ça va bien, d'autres très mal. Je retrouve la vie, j'avance, mais ce sera toujours présent chez moi», témoigne Caroline, plus de huit ans après le drame.
Le procès de l'attentat de Nice a cependant été salvateur pour elle: elle a pu rencontrer d'autres victimes, partager sa douleur. «Témoigner à la barre m'a fait beaucoup de bien», précise la sexagénaire, «ça permet de sortir la chose de son corps, de sa tête».
Procès, indemnisation financière et actes mémoriels sont autant d’étapes qui permettent aux victimes d'avancer. «Mais à la fin, il y a un reste à charge qui est pour nous», affirme Arthur Dénouveaux, président de l'association Life For Paris et rescapé du Bataclan.
Paul (prénom d'emprunt), aujourd'hui âgé de 32 ans, a mis des années à réaliser qu'il souffrait d’un syndrome de stress post-traumatique après avoir échappé à l'attaque terroriste qui a fait 15 morts sur les ramblas de Barcelone en 2017, alors qu'il était en vacances avec ses amis.
«Par rapport aux morts que j'avais vus, je n'avais pas le droit de me plaindre», se souvient le jeune homme, qui souffrait, comme beaucoup de victimes, du syndrome de culpabilité du survivant.
«Cette culpabilité d'être en vie quand d'autres sont morts est parfois plus difficile à traiter que le stress post-traumatique lui-même», estime Asma Guenifi. «C'est vécu comme une nouvelle injustice», poursuit la psychologue, insistant sur la difficulté pour les victimes de terrorisme de «donner du sens à quelque chose qui n'en a pas».
Paul a d'abord repris une vie normale, avant de sombrer dans la dépression et d'assister impuissant à sa «mort sociale». Crises d'angoisses, perte de poids, insomnies, idées suicidaires... Les symptômes s'accentuent au fil des mois, jusqu'au jour où l'on met les mots sur ce qu'il vit: un trouble de stress post-traumatique. Débute alors un long parcours de thérapie.
«J'ai vu des psychologues, des psychiatres et des thérapeutes... J'ai passé beaucoup de temps à essayer de sauver ma peau», confie Paul, qui a doucement remonté la pente grâce à une méthode qui consiste à écrire le récit de son traumatisme de façon très précise et à relire le texte quotidiennement pendant des mois.
C'est aussi auprès de l'Association française des victimes de terrorisme (AFVT) qu'il trouve du réconfort en partageant son expérience. «On se rassemble comme une famille», témoigne le trentenaire, estimant que cette association «sauve des vies». Aujourd'hui, il accompagne d'autres victimes dans leur parcours de reconstruction, «une autre forme de thérapie», explique-il.
«La vie»
Créée au lendemain du 13-novembre, Life For Paris avait aussi vocation à sortir les victimes de l'isolement. «L'expérience collective allait nous permettre d'avancer», explique M. Desnouveaux.
Le 13 novembre prochain, à l'occasion des dix ans des attentats, l'association sera dissoute. «On a atteint les objectifs que l'on s'était fixés», explique M. Desnouveaux, estimant qu'il faut «essayer d'arrêter d'être des victimes», ne pas «porter la mémoire toute notre vie».
«Symboliquement, c'est la fin d'un chapitre», espère le survivant, conscient que certaines cicatrices sont indélébiles. Pour beaucoup de victimes en effet la reconstruction reste un combat quotidien. «Chaque jour, je choisis la vie», sourit Paul.