Vie de privations «C'est très difficile de recevoir chez moi» - Des seniors crient leur désespoir

AFP

30.9.2024

Deux millions de personnes vivent le troisième âge sous le seuil de pauvreté, particulièrement les femmes et les personnes seules qui se retrouvent ainsi encore plus isolées, alerte le rapport annuel de l'association Les Petits frères des pauvres, publié lundi.

Deux millions de personnes vivent le troisième âge sous le seuil de pauvreté en France (image d’illustration).
Deux millions de personnes vivent le troisième âge sous le seuil de pauvreté en France (image d’illustration).
IMAGO/photothek.de

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Ce chiffre correspond aux personnes de 60 ans et plus qui vivent sous le seuil de pauvreté monétaire, un niveau relatif fixé à 60% du niveau de vie médian (soit 1.216 euros par mois pour une personne seule, 1.824 euros pour un couple), selon l'association. La pauvreté touchait 10,6% des 65-74 ans en 2022 contre 7,5% en 2017, selon l'Insee.

Les seniors sont toutefois moins touchés que la population générale: neuf millions de personnes en France vivent sous le seuil de pauvreté, soit 14,4% de la population. Vivre à deux protège de la pauvreté, qui concerne 18,8% des personnes âgées seules, contre 6,4% de celles vivant en couple, selon l'Insee.

Femmes plus exposées

Les femmes, qui vivent plus longtemps que les hommes, donc dans la solitude, sont plus exposées. En outre, le moindre travail des femmes parmi les générations plus âgées, des carrières hachées pour suivre leur mari en mutation professionnelle, des temps partiels pour s'occuper de leurs enfants ou de leurs proches, ont eu pour conséquences des pensions de retraite plus faibles. A cela s'ajoutent divorces et séparations qui réduisent leur niveau de vie.

«Je me suis arrêtée de travailler pour élever mes deux enfants. Après 23 ans de travail, j'ai pris ma retraite à 47 ans, c'était possible comme fonctionnaire», explique à l'AFP Raymonde, 81 ans et 1.100 euros de pension mensuelle. Mais son compagnon l'a ensuite quittée, la laissant sans «assez pour vivre» alors que son fils, étudiant, était à sa charge.

Selon des entretiens réalisés en 2024 auprès de 12 personnes concernées par Les Petits Frères des Pauvres, 31% ont fait face à des difficultés pour payer les factures du quotidien.

Si vivre seul expose à la pauvreté, celle-ci renforce l'isolement. Quatre personnes sur dix se sont privées d'aller au restaurant, de partir en vacances ou ont limité leurs déplacements au cours des 12 derniers mois, 26% se sont privé d'inviter leurs proches.

«C'est très difficile de recevoir chez moi, ou à Noël d'offrir des cadeaux à mes proches», explique à l'AFP Martine Bourgery, 73 ans, qui touche une retraite de 1.100 euros.

«J'étais éducatrice, on était très mal payé. Et je ne travaillais pas le mercredi pour élever mes deux enfants. Ma retraite en a pâti», dit cette femme qui a perdu son mari dans un accident.

«Quand on m'invitait à dîner, je déclinais, parce que je ne pouvais pas arriver avec des fleurs. Lorsque mes amis allaient au cinéma, je disais ne pas avoir envie de voir le film, parce que je ne pouvais pas payer et ne voulais pas qu'ils paient pour moi», explique-t-elle.

Vulnérabilité des auto-entrepreneurs

Même si leur quotidien est fait de calculs et de privations, les personnes interrogées par l'enquête ne se définissent pas comme pauvres, un mot qui pour elles correspond à des situations plus graves que la leur.

Plus d'une personne sur deux ne bénéficie d'aucune aide et s'estime mal informée. Les trois quarts sont mal à l'aise avec les démarches administratives en ligne.

Le projet de solidarité à la source que prépare l'administration devrait réduire le taux de non-recours aux aides sociales, en les attribuant directement en fonction des revenus enregistrés par l'administration.

L'association demande de relever le minimum vieillesse au niveau du seuil de pauvreté. Cette prestation non contributive - c'est à dire sans être liée à une cotisation antérieure - qui permet aux personnes âgées d'accéder à un seuil minimal de ressources, est de 1.012 euros. Une mesure qui coûterait 2 milliards d'euros par an aux finances publiques, selon Yves Lasnier, le délégué général des Petits Frères des pauvres.

Les difficultés d'accès des plus jeunes générations à la propriété, l'essor du statut d'auto-entrepreneur sont des facteurs de risque de précarité au grand âge. L'association demande ainsi de prévenir la pauvreté future en mettant en place un rendez-vous aux assurés dont les estimations de retraite seraient inférieures au seuil de pauvreté.