«Riverboom» sort au cinéma le 30 octobre. Pour blue News, le réalisateur Claude Baechtold revient sur un film qui aurait pu ne jamais voir le jour et qui raconte l'incroyable odyssée de trois jeunes reporters de guerre dans le chaos afghan, peu après les attentats du 11 septembre 2001. Rencontre.
«Riverboom»: Un road movie déjanté dans l'Afghanistan d'après le 11 septembre
«Riverboom» sort au cinéma le 30 octobre. Pour blue News, le réalisateur Claude Baechtold revient sur un film qui aurait pu ne jamais voir le jour...
28.10.2024
C'est à travers les yeux de Claude Baechtold que l'on s'embarque pour un drôle de voyage, dans un Afghanistan en plein bouleversement mais rempli d'espoir, en 2002, à la rencontre de la population. Le réalisateur n'a alors aucune expérience du journalisme, mais il va s'improviser reporter après avoir acheté un petit caméscope, pour «faire plus sérieux», raconte-t-il. Ainsi, il va suivre le journaliste Serge Michel et le photographe Paolo Woods dans un périple qui semble fou.
blue News a vu le film pour vous
Intermezzo Films/Riverboom
Dès les premières minutes, ce film oscillant entre documentaire et road movie nous emporte dans son sillage. On tremble avec le réalisateur et ses comparses, on porte un regard frais et inédit sur l'Afghanistan, un pays que l'on ne connaît, pour la plupart d'entre nous, qu'à travers les médias et sa triste actualité. Le tour de force dans ce véritable OVNI cinématographique, c'est le parti-pris de sa narration. Avec des portraits dressés un peu à la manière d'«Amélie Poulain», des scènes qui rappellent celles de Tarantino -l'une des références de l'auteur- et en filigrane le travail de deuil de Claude Baechtold, qui a perdu tragiquement ses parents peu avant ce périple et qui affirme que l'Afghanistan l'a «sauvé». Un film rythmé, passionnant, personnel, drôle, touchant et riche d'informations. Notre note: 10/10
«Riverboom», c'est un film qui aurait pu ne jamais voir le jour, raconte le réalisateur vaudois: «Quand je suis rentré de ce voyage, ces bandes n'avaient pas beaucoup d'importance pour moi, parce que là-bas, je filmais pour paraître. C'était de petites cassettes DV, donc je les ai données à un ami de confiance pour qu'il les digitalise. Il les a d'abord égarées, puis ensuite il les a perdues. Et tout d'un coup il les a retrouvées, presque 20 ans plus tard. Quand j'ai été face à ce matériel vidéo de l'époque j'ai redécouvert mon voyage et j'ai décidé de le raconter en film».
L'Afghanistan «année zéro»
Pour replacer les choses dans leur contexte, après les attentats du 11 septembre 2001, une coalition internationale s'est rendue à Kaboul pour libérer l'Afghanistan des talibans. «À Kaboul en 2002, il y a tout le monde. Il y a l'ONU, toutes les armées de toute l'Europe sont là, ce n'est pas seulement les Américains, c'est l'OTAN, parce que l'Afghanistan, tout le monde est d'accord d'y aller, même les Français», décrit Claude Baechtold.
Claude Baechtold parle de son film dans les studios de blue News.
Lors de leur voyage, Claude Baechtold, Serge Michel et Paolo Woods (de g. à d.) se sont procuré des habits traditionnels pour tenter de se fondre dans le paysage.
«J'avais deux caricatures de super journalistes devant moi», explique Claude Baechtold, qui n'avait, alors, aucune expérience en tant que reporter.
Claude Baechtold parle de son film dans les studios de blue News.
Lors de leur voyage, Claude Baechtold, Serge Michel et Paolo Woods (de g. à d.) se sont procuré des habits traditionnels pour tenter de se fondre dans le paysage.
«J'avais deux caricatures de super journalistes devant moi», explique Claude Baechtold, qui n'avait, alors, aucune expérience en tant que reporter.
Mais ce n'est pas Kaboul qui intéresse Serge Michel, récipiendaire du prix Albert Londres en 2001, alors chroniqueur au Figaro. Claude Baechtold se souvient: «Il avait trouvé cette route, celle qu'avait prise Ella Maillart en 1939. En fait il y a des portions de cette route qui n'existaient plus, mais il a décidé qu'on ferait un tour complet du pays pour faire le point sur l'Afghanistan 'année zéro', c'est-à-dire l'Afghanistan qui renaît après dix ans de guerre contre les soviétiques, cinq ans de guerre civile épouvantable et cinq ans de joug taliban».
«J'avais deux caricatures de super journalistes devant moi»
De ce voyage, Claude Baechtold estime avoir appris sur tous les plans. «Je suis tombé dans la marmite entre Serge et Paolo qui sont des journalistes acharnés. C'est-à-dire que ce n'est pas un voyage d'agrément, c'est vraiment 14 heures de travail par jour, on est épuisé. À la fin de la journée, on se met au lit et ils continuent à parler de géopolitique, ils essayent de digérer les informations de la journée, ils se font des reproches mutuels en disant: 'on s'est trompé, on a interviewé des gens pas intéressants, on a raté cette histoire'...»
Le coup de coeur a été immédiat, ajoute le réalisateur: «Ils ont été très attachants tout de suite parce qu'ils ne gagnent quasiment rien, ils prennent des risques délirants et ils sont là pour raconter l'histoire des gens. Et c'est une grande qualité. On est au milieu de nulle part et on se dit: 'mais c'est pas possible, on a fait 10 jours de route, on n'a pas vu une seule cabine téléphonique, et pourtant cette interview, cette 17ème interview de la journée, elle est très très importante, il faut absolument la faire!' J'avais deux caricatures de super journalistes devant moi».
Inconscients, vraiment?
Lorsque l'on voit «Riverboom», on ne peut s'empêcher de trembler pour les protagonistes. Etait-il bien raisonnable de se lancer dans un tel périple à cette époque-là, ou était-ce totalement inconscient? «Alors moi, je n'étais pas du tout inconscient, assure Claude Baechtold, et je ne pense pas qu'eux étaient inconscients, en fait. Je pense que les journalistes qui sont sur le terrain, ils savent justement bien gérer le risque».
Au fil du récit, on verra le trio confronter des chefs de guerre, être invité dans le repaire d'un bandit, se procurer des habits traditionnels pour tenter de passer pour des locaux, dans une partie du pays où les occidentaux ne sont pas forcément les bienvenus...
Mais Claude Baechtold considère: «En réalité, ceux qui prennent vraiment des risques, c'est les fixeurs. Les fixeurs, les chauffeurs, ceux qui travaillent pour les ONG ou pour l'armée américaine, les traducteurs par exemple, ou ceux qui travaillent pour les journalistes: c'est eux qui prennent les gros risques en fait, parce qu'ils restent. Eux, quand ils rentrent à Kaboul, on connaît leur adresse. Nous, on rentre à Kaboul et après on rentre à la maison».
«Un Afghanistan joyeux»
L'équipe formée par Serge Michel, Paolo Woods et Claude Baechtold a ainsi pu porter un regard inédit sur l'Afghanistan de 2002. Le réalisateur reprend: «L'Afghanistan que moi je vois, c'est un Afghanistan joyeux. Il y a une espèce d'immense bouffée d'oxygène qui fait que nous, quand on voyage, on est vraiment le réceptacle des histoires des gens. C'est-à-dire que c'est des gens qui n'ont pas pu raconter leur histoire pendant 20 ans et tout d'un coup on arrive et ils nous les racontent. Donc pour nous, c'était assez extraordinaire. J'ai fait 6500 photos argentiques avec mon petit appareil en Afghanistan et je n'ai jamais volé une photo!»
Les trois journalistes y retourneront l'année suivante et constateront que l'espoir s'est déjà un peu amenuisé. «On a senti le délitement. L'opération occidentale a été un échec», regrette Claude Baechtold.
Depuis, il n'a pas revu ce pays qui l'a «sauvé», comme il dit. Il rêve désormais de s'y rendre avec ses enfants, «quand ça ira mieux».