InterviewJean-Philippe Ceppi: «Ces gens sont dans des situations dramatiques, en Suisse»
D'Aurélia Brégnac/AllTheContent
28.4.2020
C’est l’une des seules émissions de reportages à proposer des enquêtes sur le terrain actuellement. En cause, la crise du Covid-19 qui a profondément modifié la manière de travailler des journalistes et rend difficiles les déplacements et les tournages. Malgré tout, le magazine «Temps Présent» poursuit ses investigations en proposant tous les jeudis soir des décryptages autour de la crise sanitaire.
Des 50 premiers jours de l’épidémie aux dispositions prises par les communes pour gérer l’urgence, en passant par des portraits de citoyens qui ont dû s’adapter à ces circonstances, «Temps Présent» offre aux téléspectateurs des images et des récits inédits. Jean-Philippe Ceppi, présentateur et producteur de l’émission, nous explique comment sont choisis, préparés et filmés ces reportages exclusifs, en immersion, au plus près de l’information.
Pourquoi avez-vous décidé de consacrer une émission «Temps Présent » aux 50 premiers jours de la crise du coronavirus?
On a voulu proposer une chronologie critique, dans le sens où elle pose des questions qui devront être élucidées dans un deuxième temps. Nous préparons en ce moment un reportage de fond, qui durera 52 minutes et sera diffusé à la fin du mois de juin. On analysera alors dans quelle mesure le système d’alerte a fonctionné. On peut remonter très loin, à d’autres pandémies. La Suisse les a imaginées, puisqu’elle a lancé un certain nombre d’exercices, de scénarios comme beaucoup d’autres états européens. La vraie question sera de savoir comment cela se fait que l’on ait été pris de court.
Qu’est-ce qui a fonctionné et qu’est-ce qui a dysfonctionné? Est-ce qu’on aurait pu faire mieux et plus vite? Ce qui s’est passé dans le reste de l’Europe sera un élément éclairant pour ce qui arrivé chez nous en Suisse, évidemment. Comment cela se fait-il que des épidémiologistes n’aient pas vu arriver la catastrophe ou que les politiques n’aient pas pris en compte les avertissements? Quel a été le rôle de l’OMS? C’est ce type de questions qui nous intéresse et sur lesquelles nous enquêtons en ce moment.
Il y a déjà de pistes de réponses?
C’est évident qu’on est toujours plus intelligent après. A «Temps Présent», c’est notre fonction de remonter l’histoire – et aussi celles d’autres pandémies. C’est pourquoi la chronologie est très importante. Celle proposée dans le reportage de la semaine dernière remontait au premier cas en Chine, mais on a envie de remonter encore avant. On sait déjà qu’il y a eu un scepticisme, et même un aveuglement qui a dominé au sein de la plupart des grands état développés, y compris la Suisse. L’enquête reste à faire pour tenter d’expliquer les raisons de cet aveuglement.
Il s’agira aussi d’expliquer les manques en terme de matériels (masques, kits de dépistages, etc.)?
Oui, bien sûr, c’est un thème qui va revenir en boucle. Tout le monde est maintenant d’accord pour reconnaître qu’il y a eu un discours qui pour le moins manquait de clarté. Pour les plus critiques, c’était un discours fallacieux, mensonger, qualifié même de «discours de nécessité». On aurait dissimulé aux gens les vrais effets des masques, simplement parce qu’on était incapable de fournir des stocks. Ça devient maintenant assez clair et reconnu…
Ce jeudi 23 avril, votre reportage était intitulé «Le virus, même pas peur!». Il présentait des personnages singuliers et des initiatives solidaires qui ont émergé ces derniers temps à cause de la crise sanitaire. Pouvez-vous nous parler des exemples que vous avez souhaité mettre en avant?
Il y a quatre intervenants dans ce reportage: deux étrangers et deux Suisses. Les étrangers sont assez connus, puisqu’ils sont devenus en quelque temps de véritables stars virales et ont ainsi fait le tour du monde. Il y a d’abord un policier à Majorque qui a décidé de tenir des concerts avec ses amis dans la rue. Son histoire a été diffusée un peu partout sur Internet. On a retrouvé ce policier, qui ne s’était pas encore exprimé. Et il a accepté de nous raconter les circonstances dans lesquelles il a décidé de faire cette opération. C’est généreux et assez profond. On a aussi un musicien de Naples qui s’est fait connaitre également sur les réseaux sociaux avec ses concerts. Il joue du saxophone pour remonter le moral de ses voisins. Et puis, il y a une jeune fille suisse, qui incarne la résilience. Elle avait commencé le voyage de sa vie en Amérique latine quand le Coronavirus est arrivé. Elle a alors été confinée loin de ses proches, dans un petit hôtel perdu et un peu crasseux. Isolée, elle a eu très peur, à ne pas savoir si elle pourrait rentrer chez elle.
L’autre jeune femme suisse a, quant à elle, dû accoucher à l’hôpital de Morges et a rapidement été en entourée de gens touchés par le Covid-19, de situations tragiques. On a voulu s’intéresser à ce paradoxe d’une femme qui a donné la vie dans un lieu sur lequel s’abattaient le virus et la mort. Ce sont tous des personnages qui ont été confrontés à eux-mêmes, qui illustrent la réaction de l’être humain face à cette réalité qui s’impose.
C’est un sujet optimiste, intimiste, porteur d’espoir et qui casse un peu avec les sujets plus mortifères autour du virus. On l’a diffusé avant un reportage sur le Tessin, qui est le premier canton suisse à avoir été touché et qu’on a un peu oublié dans cette histoire. C’est le canton qui, pendant longtemps, a eu le plus grand nombre de décès, qui a dû faire face à une situation hallucinante, qui a même eu le sentiment d’être lâché par ce pays. Nous sommes donc allés au plus près, dans un hôpital tessinois.
Quels sont les autres sujets que vous préparez actuellement?
On a notamment voulu consacrer un long reportage sur la précarisation due à cette crise. C’est un sujet de 52 minutes où l’on rencontre des SDF, des migrants, des familles paupérisées, des travailleurs pauvres. Ces gens sont dans des situations absolument dramatiques, ici en Suisse.
Dans un reportage prévu pour début mai, on s’intéressera également aux autorités locales et communales qui doivent gérer l’épidémie. Dans un état fédéral comme la Suisse, beaucoup de choses sont laissées aux régions, aux cantons, aux communes. On a tourné plusieurs semaines avec les autorités locales de Carouge. C’est intéressant de voir comment la société civile vient au secours de l’administration.
Et concrètement, comment cela se passe pour vos équipes lors des tournages? Des mesures de sécurité ont été mises en place?
Oui, c’est la règle. Actuellement, «Temps Présent» est quasiment la dernière émission magazine à enquêter encore sur le terrain. Alors, le travail repose d’abord sur la base du volontariat. Nos équipes techniques sont munies de masques, de sprays hydroalcooliques pour désinfecter le matériel, les interviews se font à la perche et dans des espaces qui ne sont pas confinés pour éviter les contacts et respecter les distances de sécurité. On a un système d’interview à distance maintenant assez abouti. Les journalistes peuvent aussi collaborer à distance, monter les projets depuis chez eux…
On s’est en fait assez vite adapté. La plus grande difficulté aujourd’hui, ce sont les voyages. On ne peut pas traverser les frontières, prendre l’avion. Et comme on est une émission de reportages à l’international, on est obligé de faire de la réalisation déléguée et de s’adresser à des petites boîtes de production à l’étranger, qui sont capables de nous faire des sections de films à distance. Nos confrères des chaînes étrangères sont aussi contraints de travailler de la même manière… on a une bonne collaboration internationale, on sait exactement ce que les autres préparent, et on est prêt à se distribuer les contenus rapidement. Notre mandat, c’est l’approfondissement, l’immersion, l’émotionnel, et cela prend forcément un peu plus de temps que les news, mais ça arrive. Je suis très fier de ce que les équipes de «Temps Présent» ont réussi à faire jusqu’à présent.
Et les audiences sont toujours au rendez-vous?
Tous les jeudis soir, on reste fidèle au poste, avec des sujets totalement en phase et pertinents. Et le public nous le rend bien puisque le début de cette crise, on dépasse systématiquement les 250’000 téléspectateurs, et qu’on observe une augmentation de près de 20% du nombre de téléspectateurs, du rating. On s’est demandé si le public n’allait pas se lasser des sujets sur le Coronavirus, mais au contraire. Cela arrivera sans doute, mais pour l’instant, on a constaté que ce n’était pas du tout le cas et que les gens étaient très demandeurs. Il y a un immense appétit d’approfondissement sur ce sujet. En revanche, on doit varier les angles et les thèmes.
A revoir: «Temps Présent», «Le Virus, même pas peur!» A voir et à revoir sur RTSPlay: «Temps Présent», «Coronavirus, les 50 premiers jours»*
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