Interview «Les taxis s’arrêtaient pour moi alors qu’ils ignoraient mes collègues noirs»

De Marlène von Arx, Los Angeles

13.7.2020

Tom Hanks et son épouse Rita Wilson ont été les premières célébrités à être testées positives au coronavirus.
Tom Hanks et son épouse Rita Wilson ont été les premières célébrités à être testées positives au coronavirus.
Keystone

Le patient vedette numéro 1: Tom Hanks s’est déjà rétabli du Covid-19 en mars, mais il ne se sent qu’en partie tiré d’affaire – pas seulement à cause du coronavirus mais aussi en raison des heurts qui touchent les Etats-Unis actuellement.

Le coronavirus a bouleversé la vie de Tom Hanks: au lieu de tourner son prochain film en Australie, l’acteur se rétablissait au printemps de ses symptômes (non sévères) du Covid-19. Et «USS Greyhound: La Bataille de l’Atlantique», son thriller portant sur un capitaine de la Marine américaine durant la Seconde Guerre mondiale ne pourra pas sortir en salles et sera diffusé dès la semaine prochaine en ligne sur la plateforme Apple TV+. Mais peu importe ce que 2020 réserve encore: comme le père de la nation l’assure dans son interview en ligne, il ne perdra jamais l’espoir que les choses s’améliorent.

Votre épouse Rita Wilson et vous-mêmes avez été les premières célébrités à avoir été testées positives au Covid-19. Comment était-ce pour vous?

Au début, nous avons été surpris: comment ça, nous sommes infectés? Que faire maintenant? De quoi avons-nous hérité? Nous avons ensuite été placés trois jours en isolement afin d’effectuer des examens de nos poumons, de notre capacité respiratoire, de nos taux sanguins, denos fréquences cardiaques et que sais-je encore! Mais aussi dans le but d’éviter de contaminer d’autres personnes avec le coronavirus. J’ai eu l’impression d’être le canari dans une mine de charbon, comme le dit l’expression.

Et maintenant?

Eh bien, nous nous retrouvons à présent à nouveau au point de départ. Si j’ai bien compris ce que j’ai lu, nous n’avons aucune certitude d’être immunisés. Nous sommes tous dans le même bateau, même si je suis évidemment incroyablement privilégié et que je souffre bien moins que d’autres personnes. Je me réveille chaque jour en sachant la chance que j’ai.

Pendant le confinement, Rita a posté le morceau classique de hip-hop «Hip Hop Hooray» et s’est révélée une rappeuse talentueuse. Avez-vous été surpris?

Non, car rien ne peut l’arrêter, que ce soit le cancer du sein ou le coronavirus. Mais cette fabuleuse renaissance m’épuise parfois beaucoup. Elle est sans cesse en train de créer et fait tout cela avec une joie immense. Je préfère simplement ne pas la freiner et lui apporte donc son brillant à lèvres ou lui indique où elle a laissé son portable.

Vous souhaitiez distribuer «USS Greyhound: La Bataille de l’Atlantique» en juin dans les cinémas. Dans ce film monumental sur la Seconde Guerre mondiale, un capitaine de la Marine américaine ainsi que son équipage sont traqués par des sous-marins allemands sur l’Atlantique. Le film sera désormais proposé au public sur la plateforme Apple TV au lieu de sortir dans les salles de cinéma en raison de la pandémie. Cela a-t-il été une décision difficile à prendre?

Cela a été un vrai crève-cœur. La qualité d’image ainsi que de son au cinéma est brillante. Et l’on garde en mémoire l’expérience partagée en communauté avec tant d’autres personnes. Ce n’est malheureusement pas le cas à présent, mais il fallait que le film sorte. Il ne s’agit pas d’une pièce de musée sur 1942. En mai, les comparaisons avec l’époque actuelle étaient flagrantes: quelle est l’ampleur du danger? Qui survivra? À quel prix?

Au sujet des coûts: Apple a mis le prix fort en payant 70 millions de dollars. Cela devrait vous réconforter, non?

Je ne me plains jamais si mon travail me rapporte plus de 300 dollars par semaine. Le film est rentable. C’est évidemment dans l’intérêt du studio. Peut-être aurions-nous aussi été à la dérive au cinéma entre «Wonder Woman» et «Top Gun 2 » et qu’en fin de compte, la plupart des gens auraient ainsi également vu le film d’abord sur un service de streaming.

Vous n’interprétez pas seulement le capitaine mais vous avez également adapté le scénario seul. Comment cela est-il arrivé?

Je sais que si un acteur écrit un rôle pour lui-même, le résultat est la majeure partie du temps un désastre égocentrique. J’avais toutefois lu le roman de Cecil Scott Forester «Bergers sur la mer» et j’ai aussitôt vu un film défiler devant moi. N’ayant trouvé personne qui partageait cette même vision, j’ai adapté le livre tout seul.

À l’inverse de votre rôle de capitaine dans le film, le commandeur en chef de la Maison-Blanche est un dirigeant contesté. Vous avez déclaré il y a quatre ans que vos compatriotes allaient faire le juste choix et ne pas élire Donald Trump. Comme chacun sait, il en a été autrement. Que prédisez-vous pour les élections en novembre?

Je crois qu’une tempête se prépare si chacun apporte sa pierre à l’édifice. Comme le dit la citation: «Pour que le mal triomphe, seule suffit l’inaction des hommes de bien». Peut-être que le «Mal» n’est pas le terme approprié dans ce contexte, mais de temps en temps, les États-Unis héritent simplement du gouvernement qu’ils méritent. Il faut ensuite faire le bilan et en tirer les conséquences. Personnellement, j’estime que le président a failli à son serment de défendre notre constitution. Heureusement que les prochaines élections approchent. Les prochaines élections sont d’ailleurs toujours les plus importantes.

Votre fils Chet a fait de vous le grand-père d’une petite-fille afro-américaine. Comment réagissez-vous par rapport au moment historique et culturel que le mouvement «Black Lives Matter» suscite?

J’ai essayé d’écouter attentivement et j’ai cherché une lueur d’espoir pour nous tous, pas uniquement pour la communauté, totalement séparée de la mienne. Je l’ai entendu durant l’enterrement de George Floyd où quelqu’un a affirmé que notre devoir était de lutter jusqu’à ce que l’Amérique soit l’Amérique de tous les Américains. Nous aurions dû réaliser cela depuis fort longtemps déjà mais nous avons échoué. À l’époque où j’étais un jeune acteur fauché, les taxis s’arrêtaient pour moi alors qu’ils ignoraient mes collègues noirs. C’est une constatation désolante. Il nous reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant d’être vraiment «Nous, le Peuple», tel qu’inscrit dans notre constitution.

Une dernière allusion au coronavirus pour conclure: l’augmentation du nombre de cas aux États-Unis est inquiétante. Vous faites figure de père de la nation en Amérique. Que souhaitez-vous dire à «vos enfants»?

Que respecter la distanciation sociale, porter des masques et se laver les mains n’est pas si terrible que ça. Chaque Américain peut y parvenir, même si tous ne s’y astreindront pas. Nous ne pouvons rien faire contre ça. J’espère qu’assez de personnes agiront de manière conséquente car nous ne devons pas perdre la foi!



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