InterviewJamy: «Assimiler des notions scientifiques rend le monde beau»
De Samuel Bartholin/AllTheContent
18.11.2019
Cela fait vingt-cinq ans que les Français sont devenus familiers de la silhouette Jamy Gourmaud, le «passeur de sciences» de France Télévision. Dans l’édition ce lundi 18 novembre du «Monde de Jamy», sur France 3, l’animateur aux lunettes rondes s’intéresse aux tempêtes qui frappent la France et ses 4 000 kilomètres de côtes maritimes. Rencontre avec cet éternel curieux, toujours attaché à transmettre au plus grand nombre sa passion pour le «gai savoir».
«La France face aux tempêtes» évoque de façon spectaculaire les tempêtes qui ont frappé l’hexagone, et met à l’honneur ceux qui les anticipent et les étudient…
Cela faisait un moment que nous avions envie de parler des tempêtes, mais pour cela nous étions un peu «météo-dépendants»: il fallait attendre qu’une tempête pointe son nez. C’est arrivé au mois de janvier dernier, avec la tempête Gabriel, dans laquelle est rentrée Églantine (Eméyé, la co-présentatrice, NDLR). On était impatients car nous voulions diffuser cette émission autour du vingtième anniversaire de Lothar et Martin, les «tempêtes du siècle» de 1999. Nous voulions surtout attirer l’attention sur le fait qu’il y avait eu un avant et un après… Il fallait donner à comprendre le mécanisme de formations des tempêtes, pourquoi on n’avait pas en 1999 anticipé leur puissance, et montrer les dégâts ainsi que les mesures prises depuis pour éviter que cela ne se reproduise. Il y a aussi une partie de l’émission consacrée aux ouragans, qui touchent le territoire français ultra-marin.
On a l’impression en effet que l’impact des tempêtes aujourd’hui est moindre qu’à l’époque…
D’une part, on peut aujourd’hui mesurer préventivement la puissance des tempêtes. De l’autre, on a consolidé depuis nos infrastructures. Une des conséquences des tempêtes de 1999 avait été de plonger des pans entiers du territoire dans le noir, avec l’effondrement en chaîne de pylônes électriques à haute tension: dorénavant, comme on le dit dans l’émission, il y a un pylône plus solide tous les cinq pylônes, limitant l’effet domino, ce qui permet un rétablissement électrique plus rapide. En plus, une grosse partie du réseau est à présent souterraine: 400.000 kilomètres de câbles sont enfouis dans le sol. Tout s’est ainsi renforcé, mais cela a pris vingt ans pour le faire.
Avec le bouleversement climatique, peut-on redouter une multiplication des tempêtes, ou pas?
Il faut distinguer entre tempêtes et ouragans! En ce qui concerne les ouragans, comme Irma, un des paramètres, c’est la chaleur. Les ouragans naissent dans le Sahara: c’est une masse d’air chaud qui arrive sur l’océan, alimenté par de la vapeur d’eau. Quand la température de l’océan atteint 26 degrés sur une profondeur de 60 mètres, et qu’une masse d’air chaud arrive, les conditions sont réunies pour que se forme un ouragan. Le réchauffement climatique fait que les océans se réchauffent, ces phénomènes devraient logiquement se multiplier dans les Antilles et sur les côtes américaines. Pour les tempêtes, c’est différent… Il pourrait y avoir des épisodes pluvieux plus violents durant les périodes d’hiver. Mais le moteur des tempêtes, en France métropolitaine, ce sont les «courants-jets», des vents qui soufflent en très haute altitude. D’après les météorologistes, les «courants-jets» devraient remonter vers le Nord. On devrait donc avoir moins de tempêtes à long terme… Mais on met bien sûr un conditionnel, il n’y a pas de certitude absolue.
On vous voit beaucoup sur le terrain, dans l’émission. C’est nécessaire pour mieux capter l’intérêt du public?
L’idée, dans cette émission, c’est de faire comprendre que la nature, nos infrastructures, sont confrontées aux éléments. Bien sûr, pour comprendre ces éléments, il faut passer par la pédagogie scientifique, et c’est en se trouvant au contact du terrain qu’on créé le rapprochement avec ces sujets scientifiques. On a toujours l’impression que la science se passe dans les laboratoires… En fait, elle se passe devant nous dès que nous mettons le nez dehors! L’environnement est avant tout une question scientifique, ça n’est pas qu’une question d’émotions. On va bien sûr tous être émus par exemple de la disparition d’une espèce, mais il faut comprendre pourquoi cette espèce disparaît, et la réponse est toujours un peu scientifique. Ce qui ne veut pas dire que c’est compliqué: ça peut être des concepts simples à comprendre, même s’ils sont scientifiques. Et moi, c’est ça que j’aime faire: aller sur le terrain pour être en contact direct avec les phénomènes, leur impact, et avec les explications de ces phénomènes.
Vous n’aviez pas de formation scientifique à l’origine? Vous avez commencé votre carrière de journaliste par des reportages en Europe centrale il y a 30 ans…
Non, je n’ai pas de formation scientifique. En ai-je besoin? Disons que j’ai acquis désormais une culture scientifique. Il y a différentes manières d’envisager la science: comme un outil, c’est ce que font les ingénieurs, les chercheurs, les techniciens. Moi, je suis un passeur, j’essaie de diffuser de la culture scientifique. Ce sont deux choses très différentes. J’aime raconter les concepts scientifiques, même si je ne sais pas, moi, les utiliser concrètement - j’aime évoquer les découvertes, leur impact, l’aventure des sciences. Pour expliquer l’apesanteur, il faut se plonger un peu dans des notions de science, mais qui sont à mon sens des notions de culture générale, plus que de science pure et dure.
Votre émission «C’est pas sorcier», de 1993 à 2014, a marqué plusieurs générations d’écoliers…
On a réussi à faire passer avec cette émission, pas seulement des notions scientifiques, mais aussi peut-être – allez, je me lance – un peu de poésie, du romantisme. Je crois que s’il y avait cet engouement à raconter, c’était parce que ce que j’avais appris m’avait illuminé moi-même. J’ai toujours eu envie de transmettre le contenu, les connaissances, mais aussi le bonheur que j’avais pris à apprendre et comprendre. Faire passer l’idée que d’assimiler des notions scientifiques rend le monde plus beau! Il en a bien besoin…
En 2014, France 3 a mis fin à l’émission, mais vous a gardé et s’est séparé de «Fred» (Frédéric Courant). Est-ce que cela a été un motif de fâcherie entre vous?
Nous, nous l’avons d’ailleurs souvent dit, nous ne sommes pas fâchés! On se voit un peu moins souvent, mais on s’appelle de temps en temps. Il ne faut pas non plus sacraliser l’image d’une émission, ou idéaliser des personnages: la télévision, c’est une forme de spectacle, nous avions mis en scène ce duo, mais nous ne vivions pas tous les deux dans le camion que l’on voyait à l’écran 365 jours par an. «C’est pas sorcier», c’était notre travail: même si nous avions une collaboration très étroite, parce qu’il fallait être très complices pour faire l’émission, nous avions l’un et l’autre une famille, nos amis respectifs. On ne peut pas parler de divorce quand l’émission s’arrête, car ni lui ni moi n’avions signés pour faire cette émission ad vitam æternam.
Récemment, un collectif de chercheurs intitulé «No Fake Science» a dénoncé le traitement médiatique de la science dans les médias, accusés de jouer sur les peurs (vaccins, glyphosate…). Qu’en pensez-vous?
Il faudrait prendre les sujets un à un… Mais c’est vrai qu’on a parfois tendance à faire des réponses courtes, là où c’est complexe. On brosse un peu l’opinion dans le sens du poil. Sur le glyphosate, il y a autant de scientifiques qui vont dire que c’est dangereux ou que ça ne l’est pas. Il y a ainsi des questions sur lesquelles on ne sait pas, et il faudrait dire que les avis ne sont pas tranchés. Évidemment, quand c’est binaire, blanc ou noir, c’est plus facile: mais il y a beaucoup de nuances de gris, et des sujets sur lesquels il faut avancer avec prudence. Cela est dû aussi au fait qu’avec les réseaux sociaux, tout le monde est devenu journaliste, et tout le monde «affirme». Moi, j’essaie autant que possible de parler au conditionnel, quand cela reflète l’état des connaissances.
Vous animez également sur France 3 «Coté jardins». Le jardinage, c’est aussi une passion?
Alors ce n’est pas tant le jardinage, que les jardins et l’histoire des plantes qui me passionnent. J’aime beaucoup la botanique, l’évolution des plantes, la façon dont elles se sont acclimatées à un endroit, leurs stratégies pour s’adapter à un milieu… J’aime raconter à la fois l’histoire du jardin dans lequel je suis, l’histoire des plantes, l’histoire du lieu et aussi l’histoire des personnes qui sont derrière et l’ont créé, les paysagistes, le sens qu’ils ont voulu y mettre.
Il paraît que vos deux enfants, Alex et Oscar, sont attirés par une carrière scientifique.
C’est le cas! Il y en a un qui est diplômé, et travaille depuis un an comme ingénieur, dans l’optimisation des systèmes industriels. Et l’autre qui est en train de terminer ses études d’ingénieur, et fait un master de science à côté!
Le Monde de Jamy: la France face aux tempêtes: lundi 18 novembre, 21h05, France 3 Coté jardins: tous les samedis à 15h15 sur France 3
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