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Interview Isabelle Moncada: «Les gens ne sont pas idiots»
D'Aurélia Brégnac/AllTheContent
26.5.2020
Le Covid-19 est partout dans les médias, et pourtant, on ignore encore beaucoup de ce virus qui a bouleversé la planète. Idées reçues, faux débats et contre-vérités… dans le monde scientifique comme dans les médias, cette crise a aussi exacerbé les tensions et ébranlé de nombreuses certitudes.
Parce que le temps de la science n’est pas le même que celui de l’information, il est important de faire un point régulier sur l’avancée des connaissances, mais aussi sur les zones d’ombres qui demeurent. Cette pédagogie autour d’une information transparente, c’est justement ce que la journaliste Isabelle Moncada a souhaité placer au cœur de sa prochaine émission «36,9°», diffusée ce mercredi 27 mai sur RTS1.
Le sujet du coronavirus est omniprésent dans les médias depuis plus de deux mois. Comment avez-vous décidé d’aborder le sujet dans votre émission spéciale de ce mercredi?
Comme il y a beaucoup d’informations parfois contradictoires et qu’il est difficile pour les gens de se faire une idée, on va faire une émission très médicale. Elle sera axée sur la maladie en elle-même: ce qu’on en sait aujourd’hui, ce qu’elle fait à l’organisme. Quels sont les traitements disponibles actuellement? Quels sont les candidats-médicaments? Comment les gens sont-ils traités dans les hôpitaux et les cabinets médicaux? On abordera aussi la question des différents tests - tests PCR, sérologiques, autotests: sont-ils fiables ou pas? On fera le point sur les vaccins: où en est maintenant la recherche?
Il sera enfin question de la transmission. On a dit au début que les masques étaient inutiles, et l’on voit en fait que c’est une bonne chose. Est-ce que la distance des deux mètres est suffisante? Quelle quantité de virus faut-il pour être infecté? On traitera tous ces sujets, mais on verra aussi les zones d’ombre, les questions auxquelles on n’a pas encore de réponse.
«Elle est très vulnérable aux charlatans qui s’en emparent, qui disent n’importe quoi...»
Ce virus étant nouveau, on ne sait pas encore grand-chose sur sa nature, son fonctionnement… Comment gérez-vous ce manque de recul? Parvenez-vous quand même à avoir des certitudes scientifiques à transmettre aux téléspectateurs?
Il y a la littérature scientifique, le recoupement des sources… le propre de la science, c’est de douter, d’avancer en testant des hypothèses. Du coup, elle est très vulnérable aux charlatans qui s’en emparent, qui disent n’importe quoi, qui font des phrases à l’emporte-pièce et qui font peur aux gens ou, au contraire, les rassurent exagérément. En fait, notre boulot de journaliste est de relayer ce qu’est la science: un message de complexité. On ne peut pas être affirmatif partout… et quand on peut l’être, on doit s’assurer qu’on ne se trompe pas. Une fois qu’on est bien sûr de son hypothèse, qu’on l’a testée et faite retester par d’autres scientifiques, alors là, on peut commencer à être affirmatif…
Le confinement, qui a été proposé de différentes façons dans le monde, est aussi un sujet préoccupant. Quels en sont les risques et les principaux effets?
En Suisse, on a plutôt été dans des mesures de semi-confinement en appelant à la responsabilité des citoyens, et ça a bien fonctionné. Peut-être mieux que la France, qui a plutôt misé sur la police… Ce n’est pas forcément une bonne idée. Les observations montrent aujourd’hui que ce sont surtout les grands rassemblements qui posent problème.
Rien n’empêche que les gens sortent, du moment qu’ils ont des bons comportements. Le plus important est de les informer, y compris quand il y a un gros déficit d’informations comme sur la contagion justement. Les gens ne sont pas idiots, on peut leur parler comme à des adultes, et pas comme à des enfants… Qu’on explique avec transparence ce qu’on sait, comment le virus se propage, quelles sont les mesures qui évitent la propagation, comment se protéger… Donc le confinement, pas forcément, mais interdire les grands rassemblements et banaliser le port du masque, oui.
«Rien qu’à l’échelle de la Suisse, il y a des différences entre cantons...»
Parmi les différentes stratégies des pays pour lutter contre le virus, peut-on déjà constater que certaines étaient mieux adaptées que d’autres?
C’est difficile de comparer des pays entre eux, le contexte étant très différent, tout comme la manière de comptabiliser les décès. Rien qu’à l’échelle de la Suisse, il y a des différences entre cantons, et il va falloir qu’on fasse ce travail de comparaison. Aujourd’hui, certaines morts sont passées inaperçues, donc on ne peut pas encore comparer. La mortalité n’est pas le seul critère: il y a aussi la morbidité et les séquelles, neurologiques notamment, qui peuvent survenir avec retard et dont on ne sait pas combien de temps elles vont durer. Là aussi, les inconnues sont nombreuses.
Les chiffres de mortalité ne sont donc pas un indicateur suffisant pour évaluer les dommages du virus. Sans compter qu’on ignore en gros pourquoi certaines régions ont été davantage touchées que d’autres.
«Il faut l’aide des employeurs.»
Quels sont les réflexes les plus importants à adopter au quotidien pour se protéger?
L’éloignement, en évitant les grands rassemblements et en se tenant à distance. Le lavage des mains, à l’eau et au savon ou avec du gel hydroalcoolique, et le port du masque. Dans les transports en commun, il faudrait pouvoir lisser la courbe des heures de pointe, pour éviter que les gens se retrouvent tous au même moment au même endroit. Pour ça, il faut l’aide des employeurs.
«On a annoncé la chloroquine comme un traitement miracle… c’est vraiment irresponsable.»
De nombreuses polémiques concernant les traitements sont intervenues ces derniers mois. Selon vous, est-ce que certains scientifiques ont été mis en avant trop tôt au niveau médiatique et ce, avant même que soient faits des tests cliniques? Est-ce que ça a finalement desservi la cause?
Oui, clairement! C’est assez grave ce qui s’est passé… Il n’y a pas moins de 35 études cliniques sur la chloroquine qui ont été entamées, alors que seulement 3 ou 4 études bien faites auraient suffi pour connaître son efficacité. A cause de cette médiatisation d’une substance, tout le monde s’est senti obligé de lancer son étude. Beaucoup de moyens, d’intelligence ont été perdues pour voir les effets de la chloroquine, alors qu’on aurait pu tester d’autres médicaments, d’autres antiviraux, d’autres combinaisons… c’est vraiment bête.
Et c’est pour cela qu’il faut des coordinations fortes. On voit à quel point la science est vulnérable à cela, quand il n’y a pas de grand chef d’orchestre. Un traitement efficace est un traitement qui fait mieux que le placebo, mais ce n’est pas un traitement miracle! On a annoncé la chloroquine comme un traitement miracle… c’est vraiment irresponsable. Et un traitement miracle, ça n’existe que très, très rarement. D’autant que ce virus va toucher différemment les organismes. Ce qui explique en partie la diversité de symptômes.
Selon certains, une deuxième vague pourrait survenir ces prochains mois, durant l’été. Vous l’anticipez d’un point de vue éditorial?
Tout dépendra de la manière dont on va se comporter dans les prochaines semaines. Si l’on n’observe plus aucune mesure, une personne infectée contaminera en moyenne 3 personnes. Si l’on garde le fameux R0 (taux de reproduction de base du virus, ndlr) reste en dessous de 1, alors on peut éviter une deuxième vague. Mais il pourra subsister des clusters par endroits. C’est pourquoi il faut maintenant tester, tester, tester… Cela permet de monitorer l’épidémie et de réagir rapidement. Il faut surveiller les étincelles pour ne pas laisser le feu repartir. Si on y arrive, alors on évitera une deuxième vague…
Avec le recul, comment jugez-vous l’impact de cette crise sur la Suisse romande? S’en est-elle finalement bien sortie au niveau des capacités hospitalières, notamment?
Les hôpitaux s’en sont très bien sortis. Ils se sont rapidement réorganisés et n’ont pas été débordés. La population a aussi entendu les messages. L’information a là joué son rôle. La communication et l’information, c’est capital dans une épidémie. Et le public est intelligent, il ne faut pas prendre les gens pour des idiots en ayant peur de partager les doutes qui subsistent.
«On peut éviter une deuxième vague. Mais il pourra subsister des clusters»
Justement, le traitement médiatique a été à la hauteur?
Oui, je crois. En tous cas les médias grand public, après, les réseaux sociaux, comme d’habitude… Les médias ont organisé des débats, ils ont dit ce qu’ils savaient et ce qu’ils ignoraient. On a entendu dire que les médias n’avaient pas été assez critiques avec les autorités. Je trouve que ce n’est pas vrai.
Et puis, le moment de faire le bilan n’est pas encore venu. On est en plein dans la crise, alors on essaie de se serrer les coudes avant de parler de responsabilités. Je pense que le bilan médiatique est globalement assez bon. D’ailleurs, c’est ce qui s’était aussi passé avec le sida. Les médias avaient aussi joué un rôle important pour délivrer de l’information utile à la population. Ils n’ont pas fait de la comm, qui est le boulot des autorités. L’information, c’est celui des journalistes et des médias, qui doivent dire ce que les autorités n’ont pas forcément envie de dire, mais qui a un impact sur la santé publique. Même s’il y a dans cette crise pleins d’infos contradictoires, le principal est passé.
Certains sujets de santé ont du coup été laissé de côté, selon vous? La crise a-t-elle poussé d’autres patients à ne pas consulter pour d’autres pathologies?
On a justement fait une émission sur ce sujet. Certains ont moins consulté pour des pathologies chroniques parce qu’ils avaient peur ou craignaient d’accaparer les soignants qui devaient rester mobilisés pour le Covid. Des personnes ont aussi développé des pathologies parce qu’ils ont changé leur rythme de vie - en bougeant moins, en mangeant différemment…
«36,9: COVID-1: quoi de neuf?», mercredi 27 mai à 20h10 sur RTS 1
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