Il se confieYunice Abbas: «Le traumatisme dont elle a été victime, je n’y ai pas pensé sur le coup»
de Caroline Libbrecht / AllTheContent
17.2.2021
Le 3 octobre 2016, Yunice Abbas entre, avec quatre complices, dans l'immeuble parisien où Kim Kardashian loue une suite de luxe. Les «papys braqueurs» repartent avec 9 millions d'euros de bijoux. Dans un livre, Yunice Abbas raconte le «casse du siècle».
Quel accueil reçoit votre livre co-écrit avec le journaliste Thierry Niemen, «J’ai séquestré Kim Kardashian» (éditions L’Archipel)?
Je ne voulais pas me mettre en avant, je voulais que ce soit mon co-auteur qui défende le livre. Je dois finalement faire la promotion du livre - à contre-coeur - parce que les journalistes veulent me poser des questions sur l’affaire Kardashian. Donc je réponds aux interviews et je découvre le milieu médiatique, un système dont j’ignorais tout. Il a ses codes, ses préférences, sa vision morale… Mais je ne me plains pas, le livre est globalement très bien accueilli.
Comment s’est déroulée l’écriture du livre?
Thierry Niemen est un voisin, on se connaît depuis une vingtaines d’années. Quand je suis sorti de détention provisoire, j’ai voulu donner ma version des faits. Les médias s’étaient tellement emparés de l’affaire Kardashian que des versions différentes circulaient. J’ai voulu apporter la mienne. J’ai proposé à Thierry Niemen qu’on écrive un livre ensemble. On a fait une dizaine de pages qu’on a proposées à des éditeurs. Les éditions L’Archipel ont accepté de publier le livre.
«Abuser d’elle physiquement, cela n’a jamais été dans nos têtes!»
Quelles sont les informations fausses qui ont circulé?
On a parlé d’attouchements sexuels, ce qui ne me plaisait pas du tout! Kim Kardashian n’a jamais parlé de ça, d’ailleurs. Elle a craint pour son intégrité physique. Vu que c’est une bombe sexuelle, on peut la comprendre. Mais abuser d’elle physiquement, cela n’a jamais été dans nos têtes!
Au moment des faits, vous aviez 63 ans, dont 21 passés derrière les barreaux pour différentes affaires. Comment vous a-t-on contacté pour participer au braquage de Kim Kardashian?
On me l’a proposé deux semaines avant les faits. On ne m’a jamais cité son nom, nom que je ne connaissais pas d’ailleurs! On m’a juste dit que c’était l’épouse d’un rappeur célèbre. J’ai découvert son identité au lendemain de l’opération, en regardant le journal télévisé. Je ne suis pas rentré dans sa suite, je ne l’ai pas vue en personne.
Le 3 octobre 2016, Kim Kardashian se trouvait à Paris pour la Fashion week. Le soir, elle est raccompagnée dans sa résidence-hôtel, près de la Madeleine à Paris. Puis, son garde du corps a accompagné sa soeur en boîte de nuit… Comment saviez-vous que Kim Kardashian serait seule ce soir-là?
Je n’ai pas participé aux préparatifs, je ne sais pas comment les informations ont été recueillies. Certaines se trouvaient sur internet (où Kim Kardashian postait des photos de sa bague de fiançailles évaluée à 4 millions d’euros, NDLR), d’autres ont dû fuiter de son entourage. On a parlé de son chauffeur.
Quel a été votre rôle précis, le soir du 3 octobre 2016?
On est entrés à trois, puis deux autres complices nous ont rejoints. On était habillés en policiers. Le concierge nous a laissés entrer. Je l’ai immobilisé, puis j’ai pris sa place, au cas où de la clientèle se présentait. Personne n’est venu. On avait amené de quoi couvrir les caméras de surveillance, mais elles étaient inaccessibles, placées très en hauteur. De toute façon, elles ne filmaient pas…
«Je suis responsable au même titre que les autres.»
Comme vous êtes resté à l’accueil, vous n’avez pas vu Kim Kardashian en personne. Le titre du livre est trompeur, car vous n’avez pas séquestré la star américaine…
Oui, le titre est accrocheur! Mais, au regard de la loi, je fais partie de la bande, je suis complice, donc je suis responsable au même titre que les autres.
Comment a réagi Kim Kardashian quand vos complices se sont introduits dans sa suite?
D’après ce qu’on m’a rapporté, elle n’a pas résisté du tout. Les bijoux étaient à proximité, il a suffi pour eux de s’en emparer. Cela a duré quelques minutes. Le traumatisme dont elle a été victime, je n’y ai pas pensé sur le coup. Je l’ai compris ensuite. Dès le lendemain, j’ai réalisé… Et c’est là où j’ai regretté.
«A ce moment-là, le sac que j’avais mis sur le guidon s’est pris dans la roue avant, j’ai chuté.»
Détail cocasse de ce braquage, vous êtes venu et reparti à vélo. Pourquoi?
Dans ces coins-là de Paris, il est difficile - voire impossible - de stationner. Une voiture aurait pu mettre la puce à l’oreille. A vélo, on était plus discrets. On les a garés dans l’enceinte de l’immeuble et on est repartis aussitôt. Seul imprévu: j’ai croisé une voiture de police qui patrouillait dans le quartier. Ils ont ralenti, j’ai cru qu’ils allaient m’arrêter, j’ai levé la main pour leur dire que je me rendais. Ils ont crû que je les saluais et ils ont passé leur chemin. J’étais le premier surpris! A ce moment-là, le sac que j’avais mis sur le guidon s’est pris dans la roue avant, j’ai chuté. Mais ça ne m’a pas empêché de repartir tranquillement… Avec un pneu à plat (rires).
Qu’y avait-il dans ce sac?
Normalement, je devais prendre les affaires de police et le matériel pour cacher les caméras. Je n’étais pas censé prendre ce sac, rempli de bijoux. Lorsque j’ai pris la fuite à vélo, le sac était mal fermé et il s’est renversé sur le trottoir, quand je suis tombé. J’ai tout ramassé vite fait. Dans la précipitation, j’ai oublié un bijou par terre. Mais, contrairement à ce qui a été dit, ce n’est pas ça qui m’a trahi! C’est l’ADN de contact: la police a reconstitué mon ADN à partir d’une trace… Pourtant, j’avais deux paires de gants.
«On venait surtout pour la bague de fiançailles qui valait 4 millions.»
Neuf millions d’euros… C’est le braquage le plus spectaculaire des 20 dernières années?
Oui, pour un particulier! On venait surtout pour la bague de fiançailles qui valait 4 millions. En plus, les joailliers prêtaient à Kim Kardashian des bijoux de grande valeur pour la fashion week… Ces bijoux, qui se trouvaient en vrac dans le sac, je les ai rendus à mes collègues: dès le lendemain matin, ils sont venus les récupérer. Ensuite, l’or est fondu, les bijoux revendus. On a tous reçu des acomptes, qui ont été saisis par la justice. Pour ma part, j’ai touché 70 000 euros que la justice m’a repris. C’était un acompte, j’attendais beaucoup plus. Ils ont retrouvé davantage chez d’autres, mais ils n’ont pas tout retrouvé…
Vous êtes marié, père de famille et même grand-père. Que savait votre épouse?
On se connaît depuis 43 ans et cela faisait 9 ans que je n’avais plus de soucis avec la justice. Elle s’est doutée que j’étais impliqué, mais j’ai maintenu le contraire. Si je lui disais, elle devenait complice et elle était obligée de me dénoncer. Je ne lui ai rien dit, j’ai attendu qu’on vienne frapper à ma porte pour m’arrêter.
«Ma femme était très en colère, évidemment.»
Trois mois après les faits, en janvier 2017, vous êtes arrêté. Comment votre famille a-t-elle réagi?
Mes enfants ont très mal réagi. C’est mon fils qui a ouvert la porte à la police. Ma femme était très en colère, évidemment. Elle a subi la perquisition. Heureusement les policiers ont compris qu’elle n’avait rien à voir. Ils n’ont rien retrouvé chez nous. Aujourd’hui, elle pourrait écrire un livre et raconter la vie de la femme d’un gangster, car elle en aurait, des choses à raconter! (rires)
Aujourd’hui, alors que la date du procès approche, que ressentez-vous?
Je regrette beaucoup! C’était le coup de trop. Ma santé m’a lâché, j’ai de gros soucis cardiaques.
Avec le recul, pourquoi avoir accepté de faire ce coup?
L’argent, mais pas seulement. C’est aussi un truc qui nous tient en haleine: on veut se prouver et prouver aux autres qu’on est encore capables! Aujourd’hui, on risque entre 5 et 10 ans de détention, voire 15 ans, selon l’implication de chacun, les circonstances atténuantes, l’état de santé, etc. Le procès se tiendra dans plus d’un an…
«La justice a saisi les droits d’auteur, ils seront reversés aux parties civiles.»
Qu’attendez-vous de ce livre?
La justice a saisi les droits d’auteur, ils seront reversés aux parties civiles. Donc je n’attends rien de ce côté-là. J’espère que les jurés, au procès, pourront juger en leur âme et conscience. C’est tout! Et puis, ça m’a fait du bien d’écrire ce livre et de raconter mon histoire. Il y a 70 pages sur l’affaire Kardashian, tout le reste raconte mon parcours de vie.
Note de la rédaction: les propos recueillis lors de cet entretien n'engagent que la responsabilité de l'interviewé.