Au lendemain de l'annonce du test positif au Covid-19 de Novak Djokovic, Marc Rosset est revenu sur la tenue controversée de l'Adria Tour. Le Genevois s'est également exprimé sur la suite de la saison.
Marc Rosset, l'Adria Tour - co-organisé par Novak Djokovic - a viré au cauchemar et a dû être stoppé suite à l'annonce de plusieurs cas positifs au coronavirus. A la base, aviez-vous été surpris par la tenue de cette exhibition?
"Sur le principe, je n'ai rien contre le fait d'organiser un tournoi afin que les joueurs puissent jouer au tennis. Il y a d'ailleurs actuellement l'exemple du tournoi mis en place par Patrick Mouratoglou où tout est 'safe' de chez 'safe'. Le décalage est ainsi impressionnant entre ce tournoi et l'Adria Tour. En comparant les deux événements, on pouvait se demander si on vivait sur la même planète. Mais il ne faut pas oublier que, lorsque tu organises une épreuve, tu dois suivre les consignes du pays et du gouvernement. Et c'est ce que les organisateurs de l'Adria Tour ont fait."
Des directives visiblement pas très strictes en Serbie et en Croatie. Quelle a été votre réaction lorsque vous avez vu les images provenant de ces deux pays?
"Je ne suis pas un spécialiste du coronavirus, encore moins dans les pays balkaniques. Je ne connaissais donc pas la situation là-bas. En allumant ma télévision, j'ai évidemment été surpris de voir jusqu'à 5000 spectateurs présents dans les gradins ou des accolades entre les joueurs. Tout le monde sait que le risque zéro n'existe pas. J'ai donc surtout été choqué par les images montrant les joueurs en boîte de nuit. Je ne dis pas qu'il faut arrêter de vivre, mais c'est choquant que ces images soient arrivées sur le web."
A la vue de ces images, le dénouement et la succession de tests positifs (Grigor Dimitrov, Borna Coric, Viktor Troicki et donc Novak Djokovic) étaient-ils dès lors inévitable?
"Oui, un proche de Novak Djokovic avait d'ailleurs rapidement été déclaré malade. Et, dès qu'il y a un cas positif, il est probable que d'autres suivent rapidement."
Les organisateurs ont-ils fait preuve d'une négligence générale?
"Il aurait évidemment été mieux de faire cet Adria Tour à huis clos. Le but de ce tournoi caritatif était toutefois de lever des fonds. L'organisation de ce tournoi partait donc d'un bon esprit et l'objectif n'était pas de contaminer les gens. En voyant le résultat, les normes de sécurité n'ont visiblement pas été suffisamment respectées. Beaucoup de choses manquaient, comme du gel hydroalcoolique. Quelques trucs m'ont donc dérangé lors de cette exhibition. L'exemple le plus parlant est lorsque Novak Djokovic a raté une réunion sur Zoom concernant l'US Open... car il jouait au basket! Il y avait 400 joueurs connectés, mais pas le président du Conseil des joueurs à l'ATP. On peut donc se poser la question s'il mérite vraiment ce poste."
Novak Djokovic doit-il donc démissionner?
"Si j'étais le président du Conseil des joueurs à l'ATP, que je rate la réunion concernant l'US Open, que je me mets à dos certains joueurs et que, finalement, il se passe ce qu'il s'est passé à l'Adria Tour, alors je démissionnerais. Une scission et une polémique se sont créées, alors que l'objectif d'un président est de rassembler et qu'il a un devoir d'exemplarité. Alors, même si tu ne te sens pas coupable, tu assumes et tu te retires. Je ne lui demande toutefois pas de démissionner, il fait ce qu'il veut. C'est simplement ce que je ferais."
La division que vous évoquez était d'ailleurs déjà apparue lorsqu'il avait déclaré être contre le vaccin obligatoire...
"Novak Djokovic est un personnage assez clivant, quoiqu'il dise. J'ai d'ailleurs l'impression qu'il se nourrit de ça. Je ne juge pas la personne car chacun à ses sources de motivation et ses croyances. Mais, d'un point du vue général, Novak Djokovic reste une énigme. En reprenant la chronologie des derniers jours, il y a déjà eu la sortie de son père sur Roger Federer que je trouve inadmissible. Même si tu aimes ton fils plus que tout au monde, tu ne peux pas sortir des trucs pareils. Si mon père avait tenu de tels propos, je serais rentré à la maison et je lui aurais collé une tarte! Tu ne peux pas parler de quelqu'un comme ça. C'est gratuit et tout simplement débile. Il y a comme un désamour entre Novak Djokovic et le public. C'est dur pour lui de rivaliser avec Roger Federer et Rafael Nadal d'un point de vue de la popularité. Je peux comprendre que ce soit frustrant pour lui. Il est numéro un mondial et c'est un super joueur, mais il doit faire face à deux légendes. Mais, entre les déclarations de son père et le fiasco de l'Adria Tour, il ne marque pas des points auprès du public. Et, surtout, ça n'aide pas l'image du tennis."
Est-ce que ces cas positifs au Covid-19 peuvent avoir une influence sur la reprise du tennis prévue en août?
"Je ne pense pas car il reste du temps jusqu'au retour des compétitions prévu aux Etats-Unis. L'Adria Tour a agi comme une piqûre de rappel et c'est le seul truc positif de ce fiasco. Ça a également prouvé la complexité du tennis par rapport au Covid-19 afin de réunir dans un endroit restreint des joueurs venant d'une soixantaine de pays différents. Les Sud-Américains pourront-ils voyager? Il y a énormément d'interrogations. Comment va-t-on faire s'il y a des cas positifs durant les tournois? A l'US Open, il y aura 128 joueuses et 128 joueurs, sans compter les autres tableaux... Je vois mal le tournoi finir avec zéro cas, mais j'espère me tromper."
D'ailleurs, comment voyez-vous la tenue de l'US Open à huis clos?
"Il ne faut pas se leurrer, ce n'est qu'une question financière. Je ne suis pas sûr que les tout meilleurs comme Rafael Nadal aient envie de jouer devant des tribunes vides, que cette perspective les excite. Par contre, si tu es 100e mondial et que tu n'as pas touché un centime depuis plusieurs mois, alors forcément le cachet est une source de motivation."
Et que pensez-vous de l'enchaînement US Open - Roland-Garros?
"Tous les tournois veulent sauver leurs sponsorings et leurs droits TV. Entre les deux tournois du Grand Chelem, il y a également deux Masters 1000 de prévu (ndlr: Rome et Madrid). Ce n'est juste pas possible de jouer quatre semaines d'affilée, même pour Rafael Nadal! Quant au passage du dur à la terre battue, ça touche seulement les huit joueurs qui ont atteint les quarts de finale. Les 120 autres auront dix jours de préparation et d'adaptation. L'enchaînement est donc compliqué uniquement pour les tout meilleurs."
Finalement, comment avez-vous accueilli la nouvelle de l'arthroscopie de Roger Federer et l'annonce de la fin de sa saison?
"C'est sûr que ce n'est pas simple de se faire opérer deux fois à 39 ans. On connaît toutefois le phénomène. Le point positif pour lui est que les autres joueurs n'ont pas encore pu jouer au tennis. Dans le pire des cas, il va rater cinq tournois et 2-3 mois de compétition. Le retard n'est donc pas trop conséquent à rattraper pour Roger Federer. Avec cette pandémie, le timing des opérations est donc assez optimal. Surtout qu'une saison blanche est toujours dans le domaine du possible."