Mauvaises habitudesSelfies mortels: quelles limites pour un cliché?
dpa/mit
14.1.2019
Lorsque la photo parfaite rime avec la mort: plus de 30 Indiens décèdent chaque année en prenant des selfies. L’instauration de zones interdites n’y change rien. Des incidents se produisent régulièrement, également en Suisse, avec l’exemple récent survenu sur la ligne ferroviaire des Chemins de fer rhétiques.
«Ce n’est pas interdit?», demande un utilisateur de Twitter aux Chemins de fer rhétiques (RhB) sur le réseau social. La photo montre deux personnes se trouvant dangereusement à proximité des rails sur le viaduc de Landwasser près de Filisur (GR) alors qu’un train approche. Elles ont l’air de prendre la pose pour une photo. Simon Rageth, chargé de la communication d’entreprise auprès des Chemins de fer rhétiques, indique au journal «20 Minutes» qu’il s’agissait, dans le contexte de ce convoi, d’une mise en service de voitures-pilotes, ce qui signifie que le train circulait en dehors des plages horaires. Les personnes sur l’image ne pouvaient donc en aucun cas savoir qu’un train allait passer à ce moment sur le viaduc. Une situation de danger mortel.
Lieber Jan, Ja, das siehst du richtig. Dies ist nicht nur verboten, sondern auch lebensgefährlich. Wir können nur an den Verstand von jedem Menschen appellieren, dass solche gefährlichen Situationen nicht mehr vorkommen. Beste Grüsse Rhätische Bahn
Au Sri Lanka également, destination prisée, les touristes continuent à braver le danger devant des panoramas pittoresques. Les plages idylliques, la nature, les éléphants sauvages, tous ces éléments charmants de l’île attirent les touristes. C’est notamment le cas d’une jeune Allemande de 35 ans qui visitait depuis quelques semaines le Parc national de Horton Plains situé dans la région centrale des Hauts-Plateaux de l’état insulaire. Elle voulait s’immortaliser au bord de la falaise «World End», haute de plus de 1000 mètres... avant de tomber dans le vide et de décéder.
Le guide de voyages mondialement réputé «Lonely Planet» a classé le Sri Lanka parmi les meilleures destinations de l'année 2019. Une bonne nouvelle pour le pays de l’océan Indien, qui, neuf ans après la fin de décennies de guerre civile, peut enfin tirer profit des revenus du tourisme. Raison de plus pour que des tragédies telles que celle survenue à cette touriste allemande ne se multiplient pas.
Avec leur penchant à vouloir réaliser des autoportraits devant des cadres somptueux, les touristes se mettent souvent en danger. Toujours au Sri Lanka, lors de la traversée de la jungle dans l’arrière-pays en empruntant les voies ferroviaires pittoresques. «Le nombre d’étrangers qui montent sur le marchepied de trains en mouvement pour prendre un selfie augmente», déclare Anura Premaratna, responsable de la sécurité des chemins de fer du Sri Lanka. «Nos contrôleurs doivent constamment leur répéter de rester à bord du wagon».
L’année dernière, 450 accidents mortels ont déjà été comptabilisés sur les itinéraires de train au Sri Lanka, sans que l’on ait de statistiques sur le nombre de victimes dues aux selfies. Une interdiction de selfie sur les voies ferroviaires décidée en 2017 n’est toujours pas entrée en vigueur.
Les trajets en escalator...
Le grand voisin indien est sans conteste le leader des victimes dues aux selfies, comme l’ont démontré deux études. Des chercheurs de la chaîne des hôpitaux universitaires AIIMS ont rapporté il y a quelques mois que 259 cas mortels dus aux selfies ont été recensés à travers le monde entre octobre 2011 et novembre 2017, dont pratiquement la moitié en Inde.
En 2016, des chercheurs de l’institut indien de technologie (Indian Institute of Technology, IIT) et de l’Université Carnegie-Mellon aux USA avaient présenté une étude aux résultats similaires. Loin derrière l’Inde suivent des pays comme le Pakistan, la Russie et les Etats-Unis. 139 Indiens ont perdu la vie depuis mars 2014 en faisant des selfies, dont six à l’étranger, explique Ponnurangam Kumaraguru, l’un des auteurs de l’étude réalisée par l’IIT. A cela s’ajoute la mort de cinq étrangers sur le sol indien.
La taille de la population indienne, qui compte 1,3 milliard d’individus, pourrait expliquer ce chiffre si élevé. La pratique de l'autoportrait est toutefois incontestablement beaucoup plus répandue sur le sous-continent qu’en d’autres contrées du monde. Les gens au bras tendu et dirigeant leur appareil vers eux sont visibles partout dans les villes indiennes: au restaurant, dans les centres commerciaux, les métros, les avions ou simplement dans la rue. Même un trajet sur un escalator devient visiblement pour certains un instant mémorable méritant d’être immortalisé.
Les selfies avec les touristes sont très prisés
Un phénomène connu par la plupart des visiteurs en Inde est le fait que les locaux s’approchent volontiers des étrangers afin de prendre un selfie avec eux, parfois sans leur demander d’autorisation préalable. Un jeune couple suisse a été très violemment passé à tabac en 2017 sur le site très touristique de Fatehpur Sikri par une bande d’adolescents, parce qu’ils leur avaient refusé un selfie, selon les rapports d’informations.
Les guides touristiques racontent qu’ils ont dû entre-temps protéger les touristes face aux demandes agressives de selfies. Les photos, de préférence en compagnie de jeunes femmes blanches, associées au hashtag #selfiewithforeigner (selfie avec des étrangers), font le tour des réseaux sociaux chez les Indiens.
Monsieur Kumaraguru, co-auteur de l’étude de l’IIT sur les selfies mortels, impute cette folie des selfies à l’accès récent de nombreux Indiens à des portables connectés. Les Smartphones bon marché et les données mobiles internet à bas prix l’ont rendu possible. «Et chaque nouveau modèle de portable visible dans les publicités est commercialisé avant tout comme appareil photo», indique-t-il. Il existe également un rapport avec le fait que les deux tiers de la population a moins de 35 ans. Une certaine propension des jeunes Indiens à l'auto-exposition y contribue également.
Des zones «No-Selfie» sont instaurées
Les études ont révélé que ce sont surtout les jeunes hommes qui ont davantage tendance à réaliser des selfies risqués, comme au bord de falaises, sur les toits d’immeubles très hauts ou sur les rives de cours d’eau. La noyade est par conséquent une cause fréquente de décès. Dans la métropole financière et lieu de divertissement Mumbai, ainsi que dans l'état de Goa, haut lieu du tourisme, certains endroits ont été soumis entre-temps à une interdiction de selfies. Un coin à selfies doit être installé sur un nouveau pont de Delhi après que des personnes se sont penchées de véhicules en marche ou ont escaladé le pont pour réaliser des clichés sensationnels.
Les «No-Selfie Zones» à Mumbai et Goa n’ont pas eu les effets escomptés, notamment parce qu’elles n’ont pas été signalisées, explique Monsieur Kumaraguru. Le professeur en informatique et expert en médiaux sociaux pense détenir une meilleure solution: il a développé en compagnie de collègues une application nommée Saftie contenant une banque de données répertoriant quelque 7000 endroits sur la planète où réaliser des selfies peut s’avérer dangereux. L’application permet également de savoir, à l’aide de la caméra du téléphone, si un individu prenant un selfie se trouve à proximité dangereuse d’un ravin ou d’un cours d’eau.
Saftie compte toutefois peu d’utilisateurs. Le professeur Kumaraguru espère cependant que des entreprises de l’Internet comme Google ou Snapchat intégreront cette technologie dans leurs applications. Monsieur Kumaraguru insiste sur le fait «qu’il s’agit avant tout de sauver des vies humaines».
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