Avec la guerre en Ukraine, le nombre de demandeurs d'asile a explosé en Suisse. Les structures d'accueil ont dû s'adapter rapidement à cet afflux inédit de personnes. Et désormais en Romandie, c'est la file d'attente pour obtenir des cours de français. Un apprentissage qui n'est pas sans difficulté, surtout pour les plus âgés. Reportage dans une classe un peu particulière.
Quand les Ukrainiens apprivoisent la langue de Molière
Au Centre linguistique du Chablais à Aigle, une poignée de sexagénaires ukrainiens suit des cours de français. Reportage blue News.
05.04.2023
«Qui veut essayer de se présenter?» L'enseignante est souriante et dynamique, les élèves se concentrent sur le bout de papier qui leur a été fourni en exemple. Tamara lève timidement la main. Elle a préparé son texte: elle va essayer de se passer de l'appui de l'interprète présente dans la salle.
C'est un peu laborieux, mais l'essentiel est de se lancer. Certains sont plus réservés que Tamara et ne souhaitent pas s'exprimer. D'autres, comme Vitalii, cherchent le contact, même si les mots font encore un peu défaut.
Ils sont policier, professeur de sécurité du travail, ingénieur... tous retraités. Les voilà de retour sur les bancs d'école pour tenter d'apprivoiser une langue dont même l'écriture leur est étrangère. Ici, l'alphabet est latin et non cyrillique. Il faut d'abord réapprendre à lire.
Les chiffres, eux, sont les mêmes. Mais le défi est d'apprendre à les prononcer correctement. «Soixante-dix-neuf, ce n'est pas faux, mais en Suisse, on dit septante-neuf: c'est plus facile», indique par exemple la prof.
Ces sexagénaires font partie des 70'000 Ukrainiens ayant fui la guerre pour demander l'asile en Suisse. Ils se retrouvent aujourd'hui dans le canton de Vaud. Au Centre linguistique du Chablais (CELI) d'Aigle en ce mercredi après-midi, ils sont une poignée à batailler avec ce langage qui ressemble si peu au leur.
Lutter aussi contre l'isolement
Pour l'octroi de cours de français, l'Etablissement vaudois d'accueil des migrants (EVAM) donne la priorité aux personnes qui vont suivre une formation ou qui seront amenées à travailler. Mais si les seniors ne sont pas les premiers concernés, des efforts sont aussi faits pour qu'ils aient accès à la langue de Molière.
Les structures de l'EVAM étant saturées en matière d'apprentissage du français, des collaborations sont mises en place avec des écoles externes. Directeur du CELI, Gregory Chiaradia a créé l'association «Talent-avenir», qui a pour but de permettre l’accès à la formation, notamment en vue de l'intégration en Suisse.
C'est par ce biais que les élèves du jour sont arrivés décrit-il: «Ils sont seize au total, huit viennent le matin et huit l'après-midi, chaque lundi et mercredi. Le souhait de l'EVAM, avec qui nous avons pris contact, est aussi que ces personnes découvrent le tissu social et la vie associative à travers différentes activités».
Vitalii, lui, semble séduit par une activité en particulier: il va s'inscrire à un cours de ping-pong, explique-t-il. Et il n'hésite pas à inviter le directeur du CELI à disputer un match avec lui. «Euh, oui peut-être, nous en reparlerons», acquiesce ce dernier.
Vitalii, Tamara et leurs camarades suivront une formation de français d'environ huit mois. D'autres leur succéderont probablement. Et peu à peu, gageons que les ficelles de la langue finiront par leur devenir plus familières.