«Messager cosmique spécial»Un neutrino à l'énergie inédite détecté au fond de la Méditerranée
ATS
12.2.2025 - 17:34
C'est un «messager cosmique spécial», le témoin d'un phénomène mystérieux intervenu en dehors de la Voie Lactée: un neutrino à l'énergie trente fois plus élevée que tous ceux jamais enregistrés sur Terre a été détecté au fond de la Méditerranée.
Le neutrino à son origine avait une énergie de 220 pétaélectronvolts (PeV), soit 200 millions de milliards d'électronvolts. Une chiffre colossal, jamais observé sur Terre. (image prétexte)
IMAGO/Dreamstime
Keystone-SDA
12.02.2025, 17:34
ATS
Particule élémentaire abondante dans l'Univers mais insaisissable, le neutrino n'a pas de charge électrique, presque pas de masse et n'interagit que faiblement avec la matière.
Les neutrinos intéressent particulièrement les scientifiques, car ce sont des «messagers cosmiques spéciaux», explique Rosa Coniglione, chercheuse à l'Institut italien de physique nucléaire, dans un communiqué accompagnant la publication mercredi d'une étude dans la revue Nature.
Les événements les plus violents de l'Univers – comme l'explosion d'une supernova, la fusion de deux étoiles à neutrons ou l'activité autour des trous noirs supermassifs – génèrent des neutrinos dits à «ultra-haute énergie».
Comme ces particules interagissent peu avec la matière, elles peuvent s'échapper des zones denses qui les ont produites, puis voyager en ligne droite à travers l'Univers. Et fournir ainsi des informations précieuses, inaccessibles par des méthodes plus classiques, sur les phénomènes astrophysiques à leur origine.
Ces particules «fantômes» sont cependant extrêmement difficiles à détecter. Pour espérer en attraper quelques-uns au vol, il faut un énorme volume d'eau – au moins un kilomètre cube, l'équivalent de 400'000 piscines olympiques. Comme la Méditerranée, qui accueille le Télescope Neutrino du Kilomètre Cubique (KM3NeT).
Balle de ping-pong
Encore en construction, il est réparti sur deux sites: ARCA, dédié à l'astronomie des hautes énergies, à 3450 mètres de profondeur au large de la Sicile et ORCA, optimisé pour étudier les propriétés fondamentales du neutrino, à 2450 m de profondeur au large de Toulon (F).
Des câbles de plusieurs centaines de mètres de long et équipés de photomultiplicateurs capables d'amplifier de très petites quantités de lumière sont ancrés au fond de la mer à distance régulière.
Le 13 février 2023, un muon, un électron lourd produit par un neutrino, «a traversé tout le détecteur ARCA, induisant des signaux dans plus d'un tiers des capteurs actifs», indique le KM3NeT, collaboration réunissant 350 scientifiques de 21 pays.
Le neutrino à son origine avait une énergie de 220 pétaélectronvolts (PeV), soit 200 millions de milliards d'électronvolts. Une chiffre colossal, jamais observé sur Terre.
«C'est à peu près l'énergie d'une balle de ping-pong tombant d'un mètre de hauteur», mais contenue «dans une seule particule élémentaire», a expliqué Aart Heijboer, professeur à l'Institut néerlandais de physique subatomique (Nikhef) et membre du KM3NeT lors d'une conférence de presse.
Produire une telle particule nécessiterait un accélérateur «tout autour de la Terre à la distance des satellites géostationnaires», a renchéri Paschal Coyle, directeur de recherche CNRS au Centre de physique des particules de Marseille.
Chercher la source
Avec un tel niveau d'énergie, l'origine du neutrino ne peut être que cosmique. La distance de l'événement qui l'a produit «est inconnue», mais «ce dont nous sommes assez sûrs, c'est qu'il ne vient pas de notre galaxie», a souligné Damien Dornic, chercheur au CPPM.
Les astrophysiciens ont identifié douze blazars potentiellement compatibles: des noyaux actifs de galaxie alimentés par des trous noirs supermassifs.
Il pourrait aussi s'agir de la première détection d'un neutrino «cosmogénique», issu d'"une interaction de rayons cosmiques ultra-énergétiques avec les photons du fond cosmique intergalactique», a expliqué Mme Coniglione. Ce qui pourrait aider à comprendre «la composition de ces rayons cosmiques» et «l'évolution de l'Univers».
«A l'époque où cet événement s'est produit, notre système d'alerte aux neutrinos était encore en développement», a noté M. Heijboer. D'ici la fin de l'année, lors d'une nouvelle détection, une alerte sera envoyée en quelques secondes «à tous les télescopes du monde entier afin qu'ils puissent pointer dans cette direction» du ciel et chercher une source.