Sciences & Technique Quand l'ombre de "l'homme augmenté" plane sur les débats bioéthiques

AFP

1.5.2018 - 14:15

Si les états généraux de la bioéthique se polarisent autour de la procréation et de la fin de vie, l'intelligence artificielle et le rêve d'un "homme augmenté" suscitent bien des interrogations
Si les états généraux de la bioéthique se polarisent autour de la procréation et de la fin de vie, l'intelligence artificielle et le rêve d'un "homme augmenté" suscitent bien des interrogations
Source: AFP/Archives

Si les états généraux de la bioéthique se polarisent autour de la procréation et de la fin de vie, l'intelligence artificielle et le rêve d'un "homme augmenté" suscitent bien des interrogations. Faut-il avoir peur du transhumanisme?

Ce courant de pensée, devenu une mouvance protéiforme, a été créé au début des années 1980 par des futurologues californiens pour défendre l'idée que l'homme peut être "augmenté" dans ses capacités physiques et mentales, voire libéré de ses limites biologiques, à l'aide des technologies. Au point d'espérer repousser les frontières de la mort.

Transhumanisme? Le mot, qui fait cogiter les mouvements spirituels et s'invite dans les revues d'idées, ne figure pas parmi les neufs thèmes ouverts à la consultation - achevée lundi - par le Comité consultatif national d'éthique (CCNE), qui doit remettre un rapport de synthèse en juin en vue d'une modification de la loi.

Mais plusieurs chantiers ont abordé des enjeux connexes: intelligence artificielle (IA) et robotisation, neurosciences, données de santé, dons et transplantations d'organes...

"L'ombre des courants transhumanistes plane sur les états généraux de la bioéthique. Il est intéressant de voir comment ils marquent les mentalités, autour de l'IA, des fameuses NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives, NDLR), qui ont comme objectif numéro un d'améliorer la machinerie humaine", explique à l'AFP Thierry Magnin, recteur de l'université catholique de Lyon.

"Est-ce que l'homme va se réduire à sa machinerie? C'est la grande question" éthique, estime ce physicien et théologien. "Plus vous allez vers la machinerie, plus vous vous dites +tant que je peux réparer et augmenter les capacités de la machine, ça vaut le coup+. Mais si je ne peux plus? Une machine qui ne marche plus, qu'en fait-on? On la met à la casse", alerte le prêtre.

Ce "technophile vigilant" invite à regarder avec discernement des "courants transhumanistes" plus divers qu'il n'y paraît. Entre l'ONG Humanity, qui milite pour un encadrement éthique de l'utilisation des technologies, et l'Université de la singularité, plus radicale, les "visions de l'homme" ne sont pas les mêmes.

"Tous les courants transhumanistes ne prônent pas le +cyborg+, la fusion homme-machine", note le père Magnin. Un cyborg qui, par ailleurs, pourrait aussi avoir ses limites: "Si le vivant était complètement robuste, il ne pourrait plus évoluer", note le chercheur.

- "Garde-fous" -

Le neurobiologiste Jean Mariani dénonce dans un livre ("Ca va pas la tête!") les "apprentis sorciers du transhumanisme", qui "font preuve d'une profonde méconnaissance du fonctionnement du cerveau".

"Télécharger l'esprit humain dans une puce, déjà on en est loin, mais en plus on y met quoi? L'obstacle principal n'est pas dans les manques de l'intelligence artificielle, il est du côté de la biologie", estime le scientifique.

Quand Elon Musk, patron de Tesla et de la société aérospatiale SpaceX, "parle de fusionner notre cerveau avec de l'intelligence artificielle embarquée pour être plus puissant, c'est une blague! Une blague motivée par l'impact médiatique de telles annonces", abonde Nathanaël Jarrassé, de l'Institut des systèmes intelligents et de robotique à Paris.

"Tout ça a tendance à cliver l'opinion, à pousser les gens vers du manichéisme pour ou contre, alors que c'est très complexe. Il y a une réflexion à avoir sur les techniques, mais au cas par cas", fait valoir ce chercheur CNRS, "techno enthousiaste" mais pas béat.

"Il faut mettre en place un certain nombre de garde-fous éthiques et une réflexion culturelle, sociétale sur le bien-fondé de certaines recherches, comme par exemple sur les possibilités d'augmentation des capacités cognitives. Tout ce qui est possible techniquement ne doit pas forcément être fait", dit-il.

Pour le neuroradiologue Christophe Habas, ancien grand maître du Grand Orient de France, "il s'agit d'encadrer les révolutions technologiques en cours, dans le sens d'un usage raisonné au service de l'humain".

Et un "comité d'éthique Théodule" n'y suffira pas car il "ne pèsera rien face aux multinationales", comme les Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon).

"Est-ce qu'on peut peser politiquement? Je ne crois pas que cela soit facile", prévient ce franc-maçon.

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