Sciences & Technique Les phages, traitement de la dernière chance pour Monsieur P.

AFP

20.3.2019 - 09:27

Monsieur P. a une infection qui lui ronge la colonne vertébrale. Mais aucun antibiotique disponible n'est efficace. Dans l'impasse, son équipe médicale a tenté de lui inoculer des phages. L'AFP a pu suivre ce traitement exceptionnel.

Le professeur Tristan Ferry dirige le très réputé service infectiologie de l'hôpital de la Croix-Rousse à Lyon et un centre de référence des infections ostéoarticulaires. Tous les jours, il reçoit une quinzaine de demandes d'administration de phages de patients désespérés qui n'arrivent pas à se défaire d'infections multirésistantes.

Certains risquent au mieux l'amputation, au pire la mort. A ce jour, sur les sept patients traités par son équipe, les résultats ont été prometteurs, selon le Pr Ferry.

Car l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) n'octroie pour l'instant des autorisations pour utiliser ces virus que très rarement, au titre de «traitements compassionnels».

Monsieur P. a 74 ans. Il a un mélanome, un cancer de la peau. Sa chimiothérapie est à l'arrêt depuis qu'il a cette infection (Pseudomonas aeruginosa). Elle est arrivée suite à une infection du cathéter qui lui administrait le traitement de son mélanome.

Il est depuis novembre sous morphine, bloqué au lit sans pouvoir bouger. Il y a urgence à agir. Très vite, l'équipe du Pr Ferry part à la recherche d'un phage capable de canaliser son infection. Car il en existe des milliards dans la nature: la phagothérapie est une thérapie ciblée et ne détruit que la bactérie visée.

Ils tentent les phages de la start-up française Pherecydes Pharma. Ceux d'une société américaine, AmpliPhi Biosciences. Aucun ne fonctionne. C'est très rare mais l'infection de Monsieur P. est phagorésistante, en plus d'être antibiorésistante. Les médecins n'ont jamais vu ça.

Quoi faire ? Ils contactent alors Grégory Resch, un chercheur français installé à Lausanne, qui dispose d'une «bibliothèque» unique au monde de phages. Ils seront testés un par un sur l'infection de Monsieur P. Et, miracle: trois sur les 80 testés sont efficaces !

Le virus est alors envoyé à l'hôpital militaire Reine Astrid de Bruxelles qui dispose d'une unité de production. L'ANSM prend le relais et vérifie la qualité des phages produits.

- «tout essayer» -

Puis arrive le jour fatidique du traitement, début mars. Le professeur Ferry n'a pas beaucoup dormi. Un mélange d'excitation et d'angoisse. Excitation de tenter à nouveau ces phages, angoisse car il faut sauver ce patient.

Pour mettre toutes les chances de son côté, Monsieur P. va recevoir également des antibiotiques en cours de développement. Du coup, s'il guérit, il sera difficile d'attribuer ce succès exclusivement aux phages, au médicament ou à l'association des deux. Mais dans «ces situations dramatiques, il faut tout essayer».

A la pharmacie de la Croix-Rousse, Gilles Leboucher prépare le remède. Pas simple de manipuler un produit biologique expérimental: «c'est extrêmement important d'avoir un phage purifié», sans débris bactériens, car sinon le traitement peut provoquer un choc chez le patient.

Il faut ensuite diluer les phages: d'un milliard à dix millions par millilitre. Les placer dans deux seringues. De l'artisanat. C'est d'ailleurs le Pr Ferry qui va les amener dans son véhicule personnel jusqu'au bloc neurochirurgical de l'hôpital de Bron où l'attend le patient.

Là, les phages lui seront injectés dans l'abcès au niveau de sa colonne vertébrale. L'agitation, les scans et coups de téléphone à l'autorité du médicament, l'étiquette en japonais sur l'antibiotique témoignent du caractère absolument unique de ce traitement.

L'opération s'est bien passée. Mais sera-t-elle un succès ?

Oui à en croire Monsieur P., «bien content» trois jours après. Sa douleur a déjà diminué de 80% et il peut se retourner tout seul dans son lit.

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