Le RN mis à l’épreuve «Retailleau, c'est pas Sarko. Il n'est pas assez fort pour claquer la porte»

AFP

9.10.2024

Sécurité, immigration, islamisme: les sorties tonitruantes du ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau (LR), empruntent largement aux propositions du Rassemblement national, qui jure ne pas s'inquiéter de cette nouvelle concurrence et y voit au contraire une aubaine pour banaliser son programme.

Nicolas Sarkozy avait fait du ministère de l'Intérieur (2005-2007) un tremplin pour sa victoire à la présidentielle. Bruno Retailleau en fera-t-il de même ?
Nicolas Sarkozy avait fait du ministère de l'Intérieur (2005-2007) un tremplin pour sa victoire à la présidentielle. Bruno Retailleau en fera-t-il de même ?
IMAGO/ABACAPRESS

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«Je dois exprimer une divergence majeure avec notre ministre de l'Intérieur, M. Retailleau»: lors d'un meeting, dimanche, à Nice, Marine Le Pen a ménagé son suspense.

A rebours des critiques en mollesse, ou laxisme, dont le parti d'extrême droite a toujours été coutumier vis-à-vis des gouvernements successifs, la triple candidate malheureuse à la présidentielle a pris le nouveau locataire de Beauvau à revers: «Ce n'est pas l'État de droit, en tant que tel, qui doit être contesté, c'est tout le contraire», l'a-t-elle taclé, une semaine après que Bruno Retailleau avait estimé que «l’État de droit» n'était pas «sacré».

«Je n’aurais pas osé»

«C'est précisément pour répondre à cet affaiblissement de la démocratie et de l'État de droit que je définis le projet du Rassemblement national pour la France comme une œuvre non seulement d'alternance, mais aussi de réparation, notamment de nos institutions», a-t-elle encore insisté.

Pour Marine Le Pen, il s'agit de parachever une entreprise de normalisation: «Retailleau, ça ne fait que nous crédibiliser», résume l'un de ses proches, qui applaudit les sorties du ministre. «Enfin, pas toutes: renvoyer des étrangers vers des pays qui ne sont pas les leurs, je n'aurais pas osé, quand même...»

Un autre parlementaire RN abonde: «Il nous accrédite parce qu'il nous adoucit». Un recentrage comparé à celui dont avait bénéficié les lepénistes face aux outrances d’Éric Zemmour, sans rien perdre de leur électorat historique.

Pas question pour autant de considérer l'ancien proche de Philippe de Villiers comme un ennemi politique, en tout cas publiquement. «Quand on écoute Bruno Retailleau, on a l'impression que c'est un porte-parole du RN», s'enthousiasme la députée lepéniste Laure Lavalette.

«Il a raison»

À Nice, Jordan Bardella s'est encore réjoui que l'ex-patron du groupe LR au Sénat fasse des «diagnostics que (le RN) était jusqu'ici bien seul à faire». «Je l'entends dire qu'il faut briser l'hégémonie de la gauche sur le sujet de l'immigration et cette domination d'une minorité hurleuse qui confisque le débat: il a raison», a-t-il encore salué.

Au Rassemblement national, on théorise en fait l'échec prochain de Bruno Retailleau, dont les ardeurs seraient condamnées à être réfrénées par les éléments les plus modérés de la coalition gouvernementale, le Premier ministre Michel Barnier en tête, autant que le nouveau ministre de la Justice, l'ex-PS Didier Migaud, ou la ministre de la Santé, Geneviève Darrieussecq (MoDem), coupables aux yeux de l'extrême droite de colorer «au centre gauche» l'exécutif.

«La question n'est pas de savoir si M. Retailleau est sincère ou si c'est une belle personne, mais ce qu'il va faire derrière. Je crains que ça ne soit pas grand chose», tranche en privé Jordan Bardella. Marine Le Pen estime pour sa part qu'"on en peut pas régler le problème de l'immigration hors contrôle si on ne peut remettre en cause les choix de l'Union européenne" - ce à quoi se refuse le gouvernement.

Faut-il pour autant se méfier de ce routier expérimenté de la droite qui pourrait siphonner l'électorat lepéniste? «C'est le seul pari que la majorité peut faire, donc ils ont raison de le tenter», convient un député RN.

Le modèle Sarkozy

Mais lorsqu'on suggère un parallèle avec Nicolas Sarkozy, qui avait fait du ministère de l'Intérieur (2005-2007) un tremplin pour sa victorieuse candidature présidentielle de 2007 (31,18% au premier tour contre 10,44% pour Jean-Marie Le Pen), les caciques du RN font la moue.

«Retailleau, c'est pas Sarko. Il n'est pas assez fort pour claquer la porte et dire +On m'a empêché+. Et il craint la censure», se rassure un député lepéniste.

«D'autant qu'on ne le voit pas du tout être candidat à la présidentielle en 2027, mais plutôt Laurent Wauquiez», ajoute-t-il. «Or, Laurent Wauquiez... Bon, disons qu'il ne nous fait pas peur».