Selon un expert«Poutine a beaucoup oeuvré pour la réélection d’Erdogan»
Gregoire Galley
1.6.2023
Recep Tayyip Erdogan a remporté les élections présidentielles en Turquie dimanche dernier en battant au second tour Kemal Kiliçdaroglu. Malgré une inflation qui atteint des sommets et des sondages défavorables, le «Reis» est parvenu à déjouer tous les pronostics afin d’obtenir un troisième mandat de cinq ans à la tête du pays du Bosphore. Directeur du Département d’études turques à l’Université de Strasbourg, Samim Akgönül décrypte ce scrutin pour blue News.
Gregoire Galley
01.06.2023, 07:30
01.06.2023, 08:28
Gregoire Galley
Donné favori avant ce scrutin présidentiel, Kemal Kiliçdaroglu a-t-il commis des erreurs durant sa campagne ?
«Tout d’abord, il est important de garder à l’esprit que le secteur des sondages en Turquie est très pollué et très divers. Certains le montraient en tête alors que d’autres non… On peut dire ainsi que chaque sondage construisait son propre échantillon avec des méthodes parfois assez opaques. Il faut donc se méfier de ces enquêtes d’opinion.»
«Cependant, Kemal Kiliçdaroglu a tout de même commis des fautes durant cette campagne électorale. La plupart des commentateurs s’accordent à dire que sa première erreur a finalement été sa candidature. En effet, il a 74 ans et a déjà perdu de nombreuses élections. De plus, le leader de l’Alliance de la nation fait partie de la minorité religieuse alévie, ce qui l’empêche d’acquérir le soutien des sunnites conservateurs. Malgré tout, il a obtenu 48% des voix dans un pays aussi conservateur que la Turquie ce qui est déjà une grande réussite.»
«Sa deuxième erreur coïncide avec le durcissement de son discours, durant l’entre-deux tours, à l’égard notamment des immigrés syriens afin de pouvoir agréger des voix de l’extrême-droite xénophobe. Ce changement de ton a certainement déplu au flanc gauche pro-kurde de sa coalition ce qui a provoqué une plus grande abstention de ce côté-là de l’Alliance. Finalement, on peut dire que tout cela est la conséquence des vases communicants. En effet, lorsque l’on construit une coalition aussi large on déplait forcément à l’un si l’on essaie de plaire à un autre.»
«Erdogan est parvenu à faire croire qu’il incarnait l’État»
Samim Akgönül
Directeur du Département d’études turques à l’Université de Strasbourg
Quelles sont les personnes qui ont apporté leur soutien à Recep Tayyip Erdogan ?
«Il y a deux versants très importants dans la réélection de Recep Tayyip Erdogan. Premièrement, sa prophétisation, voire sa déification, aux yeux d’un électorat qui le considère comme le garant de trois majorités en Turquie : Sunnites face aux Alévis, Turcs face aux Kurdes et Conservateurs/religieux face aux Laïcs.»
«Deuxièmement, Erdogan est parvenu à faire croire qu’il incarnait l’État. D’ailleurs, il a misé durant sa campagne sur des clivages et non sur le rassemblement. Il a fait une distinction entre ceux qui défendent et ceux qui luttent contre l’État. En résumé, on peut dire que les soutiens du Président sortant font partie de ces trois majorités (Sunnites, Turcs et Conservateurs) et sont aussi des individus qui déifient l’État et donc la personne d’Erdogan.»
Avec ce succès de Recep Tayyip Erdogan, pourrait-on voir éclater une révolte populaire en Turquie ?
«En 2013, il y a eu un mouvement de protestation qui s’était formé. Ce dernier a fait tellement peur au régime qu’Erdogan a, depuis, verrouillé toute la possibilité d’organisation de la rue à travers la société civile. Aujourd’hui, dix ans après ces événements, il n’est quasiment plus possible de voir éclater une révolte populaire en Turquie. Les seuls capables de le faire seraient les Kurdes mais ils sont décimés politiquement puisque leurs leaders ont été envoyés, pour la plupart, en prison par Erdogan.»
Sur le plan international, quelles seront les conséquences de cette victoire d’Erdogan ?
«Les conséquences internationales de cette élection sont à la fois une continuité et un durcissement. La continuité dans la recherche d’un multilatéralisme. Cela signifie qu’Erdogan voudra dépendre de moins en moins de l’Occident afin de miser davantage sur son alliance avec la Russie. Dans ce sens, il faut savoir que Poutine a beaucoup œuvré pour la réélection d’Erdogan. Il va aussi chercher, grâce à la guerre en Ukraine ou au conflit syrien, à jouer les intermédiaires entre l’Europe et Moscou.»
«Enfin, Erdogan a aussi pour objectif de rallier les populations arabes derrière son pouvoir. Ainsi, il s’adresse à la fois aux pays du Proche-Orient, aux pays du Golfe mais également à la rue des banlieues des villes européennes où les descendants des anciens immigrés musulmans le considèrent comme celui qui s’oppose au gouvernement des pays où ils vivent. Erdogan va donc continuer sur cette voie-là tout en la durcissant au fil du temps.»
«La perfusion économique de la Turquie ne va pas tarder»
Samim Akgönül
Directeur du Département d’études turques à l’Université de Strasbourg
Enfin, comment Erdogan va-t-il relever son pays qui traverse actuellement une grave crise économique ?
«Il faut savoir qu’Erdogan est le principal responsable de cette crise dans la mesure où il a fait des mauvais choix économiques, notamment en ce qui concerne les taux d’intérêts. Ces derniers ont été maintenus artificiellement durant la campagne électorale grâce à l’argent qui provenait de la Russie et des pays du Golfe afin de favoriser sa réélection. Maintenant que le scrutin est passé, il y aura certainement des turbulences dans l’économie turque.»
«Cependant, ce pays est trop important sur le plan économique et géostratégique pour le laisser tomber à la banqueroute. Je pense donc qu’il y aura une perfusion de la Russie, des pays du Golfe voire éventuellement de l’Union européenne puisque la Turquie est également un pays de transit qui commence à contrôler les voies énergétiques entre le Caucase et l’Europe. En raison de tous ces facteurs, j’estime que la perfusion économique de la Turquie ne va donc pas tarder.»
Turquie: le président Erdogan fait sa première apparition après sa victoire historique
Le président turc Recep Tayyip Erdogan s'adresse à une foule de partisans devant la palais présidentiel à Ankara, sa première apparition publique après sa réélection à la tête du pays.