Guerre en Ukraine «Nous ne faisons aucune des choses horribles que les soldats russes ont faites»

ATS

10.10.2024 - 07:21

Quand l'Ukraine a lancé son offensive surprise dans la région frontalière russe de Koursk, ses militaires en étaient fiers, voire euphoriques. Deux mois plus tard, ils s'interrogent sur cette stratégie, alors que les troupes de Moscou avancent sur le territoire ukrainien.

Deux mois après la percée dans la région de Koursk, les soldats ukrainiens s'interrogent sur cette stratégie.
Deux mois après la percée dans la région de Koursk, les soldats ukrainiens s'interrogent sur cette stratégie.
Keystone

«Je ne comprends pas quel est le plan suivant», admet auprès de l'AFP Serguiï, un soldat ukrainien participant à l'opération. L'attaque a été lancée le 6 août, une humiliation pour le Kremlin qui voit une partie de son territoire occupée par une armée étrangère pour la première fois depuis la Deuxième guerre mondiale.

Elle a pris Moscou au dépourvu, renforçant le moral des Ukrainiens, épuisés par bientôt trois ans d'invasion russe. Kiev affirme contrôler près d'un millier de kilomètres carrés russes.

Un des objectifs annoncés était d'alléger la pression sur la région du Donbass (est de l'Ukraine), où les forces de Kiev reculent depuis des mois.

«Peut-être que l'ennemi s'est retiré d'autres directions (...) mais nous n'avons pas ressenti de changements significatifs ici», commente Oleksandre, jeune soldat déployé près de Toretsk, ville du Donbass visée depuis des semaines.

Bogdan, un autre militaire, se souvient d'une courte accalmie au tout début de l'offensive de Koursk. «S'il s'agit d'une opération à court terme, elle nous renforcera», analyse-t-il, avant de nuancer: «Si c'est une opération à long terme (...) cela épuisera nos principales ressources».

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a félicité ses militaires pour avoir «prouvé qu'ils pouvaient pousser la guerre vers la Russie», dans un message dimanche marquant deux mois du début de l'opération qui a ralenti, selon lui, l'avancée russe dans l'est de l'Ukraine.

Selon les données fournies par l'Institut pour l'étude de la guerre (ISW) et analysées par l'AFP, Moscou a néanmoins réalisé ses plus grands gains mensuels depuis octobre 2022, avançant sur 477 kilomètres carrés de territoire ukrainien en août. La semaine dernière, les troupes russes se sont emparées de la ville de Vugledar, et s'approchent de Pokrovsk, noeud logistique clé.

«Belle image»

Malgré des pertes «très importantes», «l'armée russe est dans une offensive» qui «s'accélère» et «on ne peut pas dire que l'offensive de Koursk ait rempli ses objectifs», estime Yohann Michel, expert militaire et chargé de recherche à l'Institut d'études de stratégie et défense de Lyon (France).

Elle a seulement «montré que quelque chose est possible avec les forces armées ukrainiennes et qu'il est possible de rentrer en Russie sans que ça ne provoque l'apocalypse», ajoute-t-il.

Pour Serguiï, le militaire ukrainien de retour de Koursk, les gains en valaient néanmoins le coup, permettant de créer «une belle image de propagande montrant que l'Ukraine peut conquérir et mener des opérations offensives».

L'Ukraine a aussi capturé de nombreux conscrits russes, un avantage lors des difficiles négociations sur les échanges de prisonniers.

«Je pense que ce pays devrait subir tout ce qu'il a infligé au nôtre», dit un militaire de la 43e brigade, lui aussi nommé Serguiï. «En même temps, nous ne faisons aucune des choses horribles que les soldats russes ont faites, font et continuent de faire», poursuit-il, en référence aux atrocités imputées à l'armée russe en Ukraine.

Dmytro, un artilleur de la même brigade, se rappelle sa «fierté» au début de l'opération de Koursk. «La Russie, qui a envahi notre pays, ressentira la même chose que nous et verra ce qu'est la guerre», dit-il.

Combattre en Russie est aussi plus facile, ont dit plusieurs militaires, faute d'avoir à se soucier des destructions sur le terrain.

Monnaie d'échange

L'opération de Koursk visait également à montrer aux Occidentaux, qui traînent des pieds pour fournir davantage d'aide, que leur soutien peut avoir un impact visible.

D'autant que la situation risque de se compliquer davantage si Donald Trump remporte la présidentielle américaine de novembre, car il pourrait réduire la cruciale aide militaire pour Kiev.

En cas de pourparlers avec la Russie, détenir une portion de territoire russe pourrait renforcer la position de l'Ukraine, mais pour l'instant cette possibilité semble lointaine.

L'offensive de Koursk est-elle un succès? «Militairement, pas vraiment. Les gains de moral sont temporaires et s'estompent», estime Olivier Kempf, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique.

«Politiquement, c'est pas bête dans la perspective de négociations, mais (...) si on n'a pas de négociations en perspective, c'est absurde», juge-t-il.

Paradoxalement, Moscou pourrait profiter de l'appel d'air laissé par des troupes ukrainiennes figées à Koursk pour avancer dans l'Est ukrainien, transformant ainsi un «revers initial en un véritable atout stratégique», prévient Olivier Kempf.

«La question est de savoir ce que nous faisons ensuite», dit un sergent ukrainien du Donbass s'identifiant comme Neznany. «Où trouverons-nous les gens, la force et les moyens de poursuivre cette histoire ou de la finir?»

ATS