Missile sur l'hôpital de Kiev Comment l'industrie russe parvient à se procurer des munitions

ATS

22.7.2024 - 07:51

Le missile Kh-101 qui a frappé l'hôpital pour enfants de Kiev au début juillet illustre la résilience de l'industrie de défense russe face à la volonté occidentale de tarir les flux de composants indispensables à Moscou. Sa production a été multipliée par huit malgré les sanctions commerciales.

DOSSIER - Des sauveteurs et des volontaires nettoient les décombres et recherchent les victimes après qu'un missile russe a frappé le principal hôpital pour enfants du pays, Okhmadit, à Kiev, en Ukraine, le lundi 8 juillet 2024. (AP Photo/Efrem Lukatsky, File)
DOSSIER - Des sauveteurs et des volontaires nettoient les décombres et recherchent les victimes après qu'un missile russe a frappé le principal hôpital pour enfants du pays, Okhmadit, à Kiev, en Ukraine, le lundi 8 juillet 2024. (AP Photo/Efrem Lukatsky, File)
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Lundi 8 juillet, la silhouette allongée du missile piquant vers le sol juste avant l'impact, immortalisée sur les réseaux sociaux, a suscité l'indignation internationale.

Plus largement, rien qu'entre le 8 et le 14 juillet, «la Russie a lancé plus de 700 bombes aériennes guidées, plus de 170 drones et près de 80 missiles contre l'Ukraine», a énuméré le président ukrainien Volodymyr Zelensky.

Il semble loin le temps où des responsables militaires occidentaux disaient dans des grands médias internationaux que les capacités de production russes de munitions étaient «insuffisantes pour faire face à la guerre en Ukraine» ou quand ce gradé ukrainien assurait que les Russes allaient devoir interrompre leurs frappes faute de munitions.

Production multipliée par huit

D'après le Financial Times, la Russie produit actuellement huit fois plus de Kh-101 qu'avant l'invasion de l'Ukraine en 2022. Les experts interrogés par l'AFP ne confirment pas ce chiffre, mais tous pointent la capacité russe à produire davantage de ces imposants missiles de croisière tirés depuis les airs.

«Je dirais que le chiffre est peut-être encore plus élevé», dit l'économiste russe Vladislav Inozemtsev, qui vit hors de Russie. Ce chercheur au centre de recherche Case estime que la Russie en produira entre 700 et 750 en 2024 et pourrait atteindre 1000 unités en 2025.

«En avril 2024, les sources ukrainiennes faisaient état d'une production mensuelle de 40 missiles Kh-101», bien supérieure aux 56 produits sur toute l'année 2021, rappelle une source occidentale du secteur de l'armement.

Pourtant, les entrailles de ces missiles comptent de nombreux composants électroniques que la Russie doit importer et qui proviennent de pays qui soutiennent Kiev et ont sanctionné Moscou: carte mémoire flash AMD (américaine), micro-circuit Texas Instruments (américain), puce tampon Nexperia (néerlandais)...

Composants occidentaux

Une visite sur le site officiel ukrainien war-sanctions.gur.gov.ua, qui recense les composants retrouvés dans les débris, permet de voir une partie de ce que Moscou intègre dans ses Kh-101.

«Tous les composants électroniques dans les missiles russes ne sont pas de classe militaire. Beaucoup, si ce n'est la plupart, sont de grande consommation ou à usage industriel et sont encore accessibles à la Russie sur le marché mondial. De plus, il y a eu du stockage avant 2022», explique Pavel Louzine, spécialiste des politiques de défense de la Russie.

Avec l'aide d'Etats partenaires, la Russie a mis en place des filières et «ne montre pas de signaux tangibles de fébrilité dans ses approvisionnements», relève la source industrielle. «Tout d'abord, il y a les Chinois, qui fournissent aux Russes de nombreux composants à double usage», explique M. Inozemtsev.

«Les principaux composants étrangers retrouvés sur les épaves de Kh-101 sont aujourd'hui des processeurs de marques américaines ou taïwanaises. De gamme commerciale, ces composants sont accessibles à l'achat, par exemple via des commandes par les missions commerciales russes en ambassade à l'étranger, ou surtout au travers de sociétés-écrans», résume la source industrielle.

Des plaques tournantes

Plusieurs pays sont devenus des plaques tournantes. Dans un rapport publié à la fin 2023, le centre britannique de recherche Rusi relevait que la «Russie a redirigé ses flux commerciaux à travers des pays amicaux ou frontaliers, utilisant souvent des réseaux complexes de sociétés-écrans».

«Par exemple, en 2022, les importations de matériel électronique de l'Arménie en provenance des Etats-Unis et de l'UE ont augmenté respectivement de 500% et 200%. La plupart d'entre elles ont ensuite été réexpédiées en Russie», note le Rusi, qui pointe aussi l'explosion entre 2021 et 2022 de la valeur des exportations de matériel électronique du Kazakhstan vers la Russie.

Mais parfois, celles-ci passent même directement par des pays occidentaux, relève le Rusi, comme celles réalisées par l'entreprise russe Compel JSC via l'Allemagne. Un Russo-Allemand de 59 ans a d'ailleurs été condamné mercredi à Stuttgart à près de sept ans de prison pour avoir fourni 120'000 composants et autres pièces d'équipements à la Russie entre janvier 2020 et mai 2023.

«Il y a peu à faire pour interrompre ces flux», estime M. Inozemtsev. «La seule chose efficace serait de prévoir des sanctions pour les producteurs occidentaux de semi-conducteurs pour les forcer à contrôler leurs clients. Mais de telles mesures semblent trop douloureuses pour les compagnies occidentales».

ATS