«Liberté» Merkel : «Poutine fascinait Trump apparemment beaucoup»

AFP

21.11.2024

Angela Merkel, chancelière allemande entre 2005 et 2021, revient sur son parcours dans ses mémoires intitulées «Liberté» à paraître mardi prochain. L'hebdomadaire allemand Die Zeit a publié des extraits en avant première, dont voici quelques passages:

Angela Merkel et Vladimir Poutine lors de la conférence de presse aaprès le sommet sur la Syrie à Istanbul le 27 octobre 2018.
Angela Merkel et Vladimir Poutine lors de la conférence de presse aaprès le sommet sur la Syrie à Istanbul le 27 octobre 2018.
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A propos de sa première rencontre avec le président américain à la Maison Blanche, en mars 2017, qui ne lui laisse «pas un bon pressentiment», elle écrit:

«Le président russe le fascinait apparemment beaucoup»

«Nous étions sur deux niveaux différents. Trump était dans l'émotionnel, moi dans le factuel. Lorsqu'il prêtait attention à mes arguments, c'était généralement pour en faire de nouveaux reproches. Une solution aux problèmes soulevés ne semblait pas être son objectif. (...) J'ai conclu de mes entretiens : une coopération pour un monde interconnecté ne serait pas possible avec Trump».

«Le président russe le fascinait apparemment beaucoup. Dans les années suivantes, j'eus l'impression que les dirigeants aux tendances autocratiques et dictatoriales exerçaient une certaine fascination sur lui».

En juin 2017, Trump annonce à Merkel au téléphone que les États-Unis vont se retirer de l'accord de Paris sur le climat, «un coup dur» pour celle qui voulait faire du climat «un sujet central» du G20.

Ukraine et Otan

A propos de son opposition à une adhésion de l'Ukraine à l'Otan --qui lui a longtemps été reprochée-- elle s'explique, en revenant sur le sommet de l'alliance, en 2008 à Bucarest.

La présence de la flotte russe de la mer noire sur la péninsule ukrainienne de Crimée présentait des risques, selon elle: «Jusqu'à présent, aucun des pays candidats à l'adhésion à l'OTAN n'avait connu une telle imbrication avec les structures militaires russes».

«J'estimais qu'il était illusoire de penser que le statut de candidat à l'adhésion aurait protégé l'Ukraine (et la Géorgie) de l'agression de Poutine».

A la fin du sommet, fut trouvé un compromis «qui avait un prix».

«Le fait que la Géorgie et l'Ukraine n'aient pas reçu la promesse d'un statut de candidat à l'adhésion était un non à leurs espoirs. Le fait que l'Otan leur ait en même temps laissé entrevoir une promesse générale d'adhésion était pour Poutine un +oui+ à l'adhésion (...) une déclaration de guerre».

Poutine: «tu ne resteras pas chancelière pour l'éternité...»

«Je suis rentrée de Bucarest avec des sentiments mitigés. Nous avions évité une grande dispute mais en même temps il était devenu évident que nous, au sein de l'Otan, n'avions pas de stratégie commune vis-à-vis de la Russie».

«Plus tard, dans un autre contexte (...) Vladimir Poutine m'a dit: "tu ne resteras pas chancelière pour l'éternité et alors elles (l'Ukraine et la Géorgie, ndlr) deviendront des membres de l'Otan. Et je veux empêcher ça"».

«Et j'ai pensé: toi non plus tu n'es pas président pour toujours. Cependant mon inquiétude sur les tensions futures avec la Russie n'avait pas faibli à Bucarest».

Jeunesse sous la dictature

Angela Merkel se souvient d'une «enfance heureuse» à Templin, petite ville de l'ex-RDA communiste, au nord de Berlin.

Son père, un pasteur venu de Hambourg, à l'ouest, dirigeait un séminaire de formation à la théologie avec la volonté de parer au manque d'ecclésiastiques sous un régime hostile à la religion.

«Mes parents avaient tout mis en œuvre pour créer des espaces de protection pour moi et mes frères et sœurs (...) Je leur en serai toujours reconnaissante».

Vivre sous une dictature signifiait «vivre en permanence sur le fil du rasoir. Même si une journée commençait dans l'insouciance, tout pouvait changer en quelques secondes en cas de transgression des limites politiques, mettant nos existences en danger».

«Trouver où se situaient exactement ces limites était le véritable art de vivre. Mon caractère conciliant dans une certaine mesure et mon approche pragmatique m'ont aidée».

Mais pas toujours. Comme ce jour à l'université où l'étudiante Angela Merkel a été surprise en train de faire des exercices de physique, sujet de ses études, au lieu d'écouter un cours général obligatoire de marxisme-léninisme.

Le professeur l'a sommée de quitter l'amphithéâtre : «j'ai dû descendre tout l'escalier jusqu'en bas. Un silence de mort régnait dans la salle». Une fois dehors, «j'ai remarqué que mes genoux tremblaient». Si l'épisode n'a pas eu de conséquences, elle ne l'a jamais oublié: «C'était humiliant».

Avec le recul, elle ressent une «sorte de supériorité» face à ce régime. «Parce que cet État n'a pas réussi, malgré tout, à me priver de quelque chose qui me faisait vivre et ressentir: une certaine insouciance».