Etats-Unis Le coronavirus fait exploser le nombre de décès liés à la drogue

AP/phi

6.12.2020

Un toxicomane met une bandelette de détection de fentanyl dans un mélange de drogues.
Un toxicomane met une bandelette de détection de fentanyl dans un mélange de drogues.
Keystone

Le nombre de décès liés à la drogue aux Etats-Unis atteint un niveau record. Les experts pointent du doigt la pandémie, responsable de l’interruption des thérapies et d’une offre plus dangereuse. Cependant, les Etats-Unis sont secoués depuis longtemps par une crise des opioïdes.

Il suivait une thérapie de groupe, avait un travail et aimait son petit neveu: Matthew Davidson s’en sortait plutôt bien dans son combat contre la toxicomanie. Mais le coronavirus est arrivé. L’homme de 31 ans a perdu son emploi et les séances de thérapie ont été annulées. Le 25 mai, sa petite amie l’a retrouvé mort chez lui à la suite d’une overdose.

Le cas de Matthew Davidson fait désormais partie des statistiques dans le Kentucky. L’Etat américain a enregistré au printemps une hausse des décès liés à la drogue: au niveau des décès par overdose, mai 2020 a été le mois le plus dévastateur depuis au moins cinq ans. Fin août, le Kentucky avait connu presque autant de décès par overdose que durant l’ensemble de l’année 2019.

Et le Kentucky n’est pas un cas isolé. Bien que les données à l’échelle du pays soient incomplètes, les chiffres disponibles laissent entendre que les Etats-Unis se dirigent vers un record absolu en matière de décès liés à la drogue. Comme le déplorent des experts en toxicomanie, la pandémie de coronavirus a mis les toxicomanes en situation de stress, les a poussés à l’isolement et a interrompu les thérapies et les programmes de désintoxication.

De même, la pandémie aurait également contribué à rendre l’offre de drogues illicites plus dangereuse. L’agence de presse AP a examiné les données relatives aux décès liés à la drogue dans neuf Etats présentant les chiffres les plus récents – le Kentucky mais aussi les Etats du Colorado, du Connecticut, du Massachusetts, du Missouri, du New Jersey, de Rhode Island, du Texas et de Washington.

La plupart des données ont permis de dresser des comparaisons avec les années précédentes; celles-ci ont montré que le nombre de décès par overdose survenus au printemps et cet été était parfois beaucoup plus élevé qu’au cours des mêmes mois de 2019.

A La Quinta, en Californie, Brittaney Biggers sent un vêtement de son frère, victime d’une overdose.
A La Quinta, en Californie, Brittaney Biggers sent un vêtement de son frère, victime d’une overdose.
Keystone

Dans le Connecticut, par exemple, le nombre préliminaire de décès par overdose a augmenté de plus de 19% jusque fin juillet par rapport à la même période de l’an dernier. Jusque fin août, ce chiffre était supérieur de 9% dans l’Etat de Washington, de 28% dans le Colorado et de 30% dans le Kentucky.

Vers un nouveau record

Avant la crise du coronavirus, les Etats-Unis traversaient déjà la pire crise des stupéfiants de leur histoire. En 2019, un record tragique de 71 000 décès par overdose a été établi. Et la tendance est à la hausse. D’avril 2019 à mars 2020, les autorités ont recensé près de 74 000 cas – d’avril 2018 à mars 2019, ce chiffre s’élevait à 68 000 cas.

A Coalton, dans l’Ohio, Eddie Davis se tient devant la tombe de son fils: Jeremy a également succombé à une overdose.
A Coalton, dans l’Ohio, Eddie Davis se tient devant la tombe de son fils: Jeremy a également succombé à une overdose.
Keystone

Ainsi, même sans la pandémie, 2020 aurait probablement été une année noire, estime Dana Quesinberry de l’université du Kentucky. Néanmoins, le coronavirus a contribué à aggraver la crise des overdoses, précise-t-elle, même s’il faudra des années de recherche pour déterminer comment.

Outre les rapports d’autopsie, un autre indicateur atteste de la hausse du nombre de décès liés à la drogue. Le projet ODMAP examine les appels d’urgence passés auprès de la police et des services d’urgence pour des suspicions d’overdose dans 49 Etats américains. 62% de l’ensemble des districts américains qui transmettent des données correspondantes au projet ont enregistré une hausse après l’instauration des mesures de confinement dans le cadre de la lutte contre le coronavirus.

«Le COVID-19 a aggravé l’offre de drogues illégales»

A l’échelle du pays, tous les indicateurs pointent vers une hausse de la consommation de drogue et donc malheureusement du nombre d’overdoses, indique Jeff Beeson, directeur adjoint d’un programme fédéral chargé de superviser l’ODMAP. Il n’existe pas encore de données complètes sur les substances utilisées par les toxicomanes décédés en 2020. Néanmoins, le fentanyl – un analgésique opioïde – et la crystal meth sont généralement considérés comme les drogues les plus meurtrières aux Etats-Unis.

Des proches de victimes de la drogue manifestent devant l’université Harvard à Cambridge, en avril 2019.
Des proches de victimes de la drogue manifestent devant l’université Harvard à Cambridge, en avril 2019.
Keystone

Au milieu des années 1990, le nombre de décès liés à la drogue a augmenté en raison d’un abus d’analgésiques délivrés sur ordonnance. Les personnes affectées se sont tournées progressivement vers des drogues moins chères en vente dans la rue, comme l’héroïne et le fentanyl, plus mortel. En 2015, l’héroïne a fait plus de victimes que les analgésiques délivrés sur ordonnance et autres drogues. En 2016, le fentanyl et les substances apparentées sont devenus les drogues les plus meurtrières.

La pandémie a eu un impact sur l’importation illégale d’héroïne vers les Etats-Unis, explique le professeur Mark Tyndall de l’université de la Colombie-Britannique, spécialiste des overdoses. Le trafic de crystal meth et de fentanyl a en revanche augmenté. «Dans l’ensemble, le COVID-19 a aggravé l’offre de drogues illégales, la rendant encore plus meurtrière», affirme Mark Tyndall. «Le risque de s’injecter du poison est plus élevé qu’il ne l’était avant le COVID-19.»

«Une fois [que l’entourage] n’est plus là, les problèmes arrivent»

L’impact de la pandémie sur les thérapies et l’accès à des conseils ne doit pas être sous-estimé. En raison des mesures de confinement, de nombreux services n’étaient disponibles qu’en ligne – ce qui représentait un défi pour de nombreux toxicomanes, dans la mesure où le sentiment de connexion constitue un moteur important en vue d’un rétablissement, comme l’explique Robert Pack de l’East Tennessee State University.

Perte d’emploi, isolement, dépression – en période de pandémie, les personnes touchées sont assaillies «de toutes parts», ajoute-t-il. Ce fut également le sort de Matthew Davidson dans le Kentucky. Il a certes succombé à une overdose de fentanyl, mais sa cousine Melanie Wyatt estime que la pandémie est à l’origine de sa mort. «S’il n’y avait pas eu cet isolement, quelqu’un aurait pu être avec Matthew. Quelqu’un aurait probablement pu être là pour le sauver.»

La thérapie de groupe lui avait été d’un grand secours, au contraire des séances en ligne organisées durant la crise du coronavirus, explique-t-elle. Pour les toxicomanes en voie de rétablissement, la présence d’un entourage sain et sobre est selon elle ce qu’il y a de plus important. «Une fois qu’il n’est plus là, les problèmes arrivent.»

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