Législatives en FranceLe pari de trop pour Emmanuel Macron?
ATS
23.6.2024 - 08:49
Sept ans après son accession fulgurante au pouvoir avec l'objectif affiché de régénérer la vie politique française, le président français Emmanuel Macron a acquis la réputation de multiplier les paris. Mais en annonçant la dissolution de l'assemblée nationale, il pourrait avoir fait celui de trop.
23.06.2024, 08:49
23.06.2024, 09:46
ATS
Sa décision choc de convoquer des législatives anticipées après son échec aux élections européennes face au Rassemblement national (RN, extrême droite), qui a obtenu deux fois plus de voix à ce scrutin que son parti, Renaissance, constitue sans conteste sa plus grosse prise de risques depuis son arrivée au pouvoir en 2017.
«Cela restera dans l'histoire comme l'une des décisions les plus absurdes et inconsidérées de toute la période après-guerre de la Ve République», estime auprès de l'AFP Vincent Martigny, professeur de sciences politiques à l'université de Nice (sud-est).
"Macron n'est plus en mesure de gagner"
Les réactions restent vives en France sur les décisions prises par Emanuel Macron, en marge des négociations pour le programme du "Front populaire" qui se tiennent au siège du PCF, à Paris.
13.06.2024
«Je pense que cela va déboucher sur un désastre complet», affirme-t-il, comparant la situation française à la décision désastreuse de l'ancien premier ministre britannique David Cameron d'organiser un référendum sur le Brexit en 2016. Sa tentative de réduire le scepticisme anti-européen au sein de son parti avait débouché sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne.
«Une décision insensée»
Au sein même du camp d'Emmanuel Macron, l'onde de choc de la dissolution, décidée avec seulement quelques conseillers, alors que le premier ministre Gabriel Attal en a été informé au dernier moment, fait toujours des vagues.
«C'est une décision insensée», s'étrangle l'ancien président du groupe Renaissance (centre-droit) à l'assemblée nationale, Gilles Le Gendre, compagnon de route historique d'Emmanuel Macron qui n'a pas été investi par le parti macroniste dans sa circonscription à Paris et se présente sans étiquette.
Le président français, qui a eu des difficultés à mettre en oeuvre son agenda depuis qu'il a perdu la majorité dans la chambre basse du Parlement français lors des élections législatives de juin 2022, a défendu sa décision comme un choix nécessaire de «clarification» du paysage politique.
«Majorité silencieuse»
Mardi, il a à nouveau exprimé sa confiance dans «une majorité silencieuse» d'électeurs «qui ne veut pas que cela soit le désordre» des extrêmes de l'échiquier politique.
Selon un sondage quotidien Ifop-Fiducial paru jeudi, qui mesure pour la première fois les intentions de vote depuis que toutes les candidatures sont connues, les candidats du Rassemblement national et des Républicains tendance Eric Ciotti arrivent en tête des intentions de vote, à 34%. Suit la gauche, unie derrière la nouvelle coalition Nouveau Front populaire (NFP) qui grignote un point à 29%, tandis que le camp macroniste refait un peu de son retard à 22%.
Il reste incertain, mais pas exclu, que le RN obtienne la majorité absolue des 577 sièges à l'assemblée nationale. L'une des autres issues possibles serait un Parlement sans majorité, qui pourrait, selon certains scénarios, permettre à Emmanuel Macron de bénéficier de la confusion qui en découlerait.
Il «s'est piégé lui-même»
Mais le président, qui se définit régulièrement comme un «maître des horloges» pourrait s'être fourvoyé. Il a parié que la gauche – minée avant les élections européennes par des désaccords sur la guerre entre Israël et le Hamas à Gaza – ne serait pas en capacité de s'unir en vue des législatives, ce qui aurait permis aux centristes de se présenter comme le meilleur rempart face à l'extrême droite.
Mais «Emmanuel Macron, qui a déclenché cette dissolution pour piéger les partis, s'est piégé lui-même», a commenté le quotidien Le Monde le 14 juin.
Impensable avant les élections européennes, la coalition du NFP s'est mise en place quelques jours seulement après l'annonce de la dissolution, rassemblant les principaux partis de gauche, de La France Insoumise (LFI, gauche radicale) au parti socialiste en passant par les écologistes et le parti communiste, qui se sont entendus sur un programme commun.
La réponse d'Emmanuel Macron a été d'utiliser sa stratégie de 2017, qualifiant une partie de la gauche d'"extrême» et de la présenter avec l'extrême droite comme les deux faces d'une même pièce de monnaie «extrémiste». Il affirme qu'un chaos économique menace en cas de défaite de son parti.
«Aucune chance de gagner»
Pour la politologue Chloé Morin, qui fut conseillère en charge de l'opinion de deux premiers ministres socialistes, le système de scrutin en deux temps pourrait nuire à la stratégie de M. Macron, s'il échoue à rallier les voix des «modérés» lors du premier tour.
«Les électeurs 'modérés' qui ne se mobilisent pas aujourd'hui par mécontentement vis-à-vis du président [...] pourraient avoir à trancher entre la gauche et le RN au second tour, faute d'avoir soutenu leurs candidats dès le premier tour. Cette configuration donne une chance au RN d'obtenir la majorité absolue», a-t-elle déclaré au journal L'Opinion.
Le professeur Vincent Martigny estime qu'il n'y «a aucune chance de gagner, pour Macron».
Le chef de l'Etat a exclu de démissionner, quelle que soit l'issue de ces législatives. Mais dans le cas où le RN en sortirait en vainqueur clair, sa «faute morale serait absolument immense», juge M. Martigny, et «on peut imaginer que la seule solution honorable serait [sa] démission.»