Controverse en Irlande du Nord «Pourquoi tant de gens ont-ils voulu faire du mal à mon père ?»

AFP

1.5.2024

Quand l'enquête sur le meurtre non-élucidé de Sean Brown pendant les «Troubles» en Irlande du Nord a été relancée l'an dernier, sa famille a retrouvé espoir. Mais une loi controversée du gouvernement britannique, qui entre en vigueur mercredi, représente un coup dur.

En 1997, Sean Brown a été enlevé par des paramilitaires loyalistes, pro-Royaume-Uni, avant d’être abattu.
En 1997, Sean Brown a été enlevé par des paramilitaires loyalistes, pro-Royaume-Uni, avant d’être abattu.
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1.5.2024

La loi «Héritage et réconciliation» vise à tourner la page des trois décennies du conflit nord-irlandais qui a fait plus de 3.500 morts. Ce conflit a opposé loyalistes, principalement protestants, et républicains, essentiellement catholiques, avec la participation de l'armée britannique.

Plus de 25 ans après la signature d'un accord de paix en 1998, quelque 1.200 décès font toujours l'objet d'une enquête policière, selon le gouvernement britannique.

La loi d'amnistie qui entre en vigueur mercredi doit mettre fin aux enquêtes, aux affaires civiles et aux poursuites pénales pour les crimes liés au conflit et accordera l'immunité aux anciens combattants de tous les camps.

Mais pour les proches des victimes, elle anéantit tout espoir de justice. Cette loi est critiquée aussi bien par les groupes de défense des droits des victimes que par les partis politiques d'Irlande du Nord, les Nations unies ou le Conseil de l'Europe. Le Royaume-Uni a également été poursuivi par le gouvernement irlandais devant la Cour européenne des droits de l'Homme à Strasbourg.

Documents expurgés

En 1997, Sean Brown a été enlevé par des paramilitaires loyalistes, pro-Royaume-Uni, à Bellaghy, à 80 kilomètres à l'ouest de Belfast, alors qu'il fermait les portes de son club de sport. Ce père de six enfants, âgé de 61 ans et président du club, a été abattu quelques minutes plus tard dans un village voisin.

Son corps a été identifié plus tard par son frère Chris. «Il était juste un homme innocent, un pilier de la communauté. Il a été enlevé pour intimider cette communauté», dit Chris Brown à l'AFP. Des décennies plus tard, la famille attend toujours de savoir ce qui s'est réellement passé.

Les opposants à la nouvelle loi affirment qu'elle vise essentiellement à protéger d'anciens soldats de l'armée et des forces de sécurité britanniques qui ont servi en Irlande du Nord, ainsi que des paramilitaires.

Au début de l'année, quand l'enquête sur l'affaire Brown a été relancée, il a été révélé que plus de 25 personnes, dont des agents de l'État, étaient liées à son assassinat.

«Nous avons été complètement assommés quand nous avons appris cela», raconte Clare Loughran, la fille de Sean Brown. «Nous soupçonnions une implication de l'État, mais quand nous l'avons entendu haut et fort au tribunal, nous avons été anéantis. Pourquoi tant de gens ont-ils voulu faire du mal à mon père ?», questionne-t-elle.

Ces révélations sont intervenues après que les agences de l'État britannique ont demandé à ce que les dossiers sensibles liés à ce meurtre soient expurgés.

Niall Murphy, l'avocat de la famille Brown, a montré à l'AFP les dossiers des services de renseignement à son bureau de Belfast. La plupart d'entre eux ont été effacés. «C'est la méthode par laquelle l'Etat cache ses secrets», dit l'avocat, exaspéré, en feuilletant l'un des dossiers.

«Même les documents qui ne sont pas totalement expurgés sont si lourdement expurgés qu'ils sont totalement incompréhensibles, ce qui prive les familles de l'accès à la justice», critique-t-il.

La nouvelle loi est «l'acte de voyous, rejetant le principe de l'État de droit international, en violation flagrante de la Convention européenne des droits de l'Homme».

Peu d'espoir

Après le 1er mai, toutes les affaires dites héritées du passé seront transférées à un nouvel organe, la Commission indépendante pour la réconciliation et la récupération de l'information (ICRIR).

Mais les familles ont peu d'espoir. «Nous ne pensons pas que l'ICRIR examinera véritablement, ouvertement et honnêtement les cas individuels(...) car le gouvernement britannique semble depuis longtemps cacher des informations et des faits aux familles, aux enquêteurs et au public», explique Clare Loughran.

Selon le directeur de l'ICRIR, le nouvel organisme saura prouver que les sceptiques ont tort. La Commission s'efforcera d'être «indépendante et impartiale» et se consacrera à la recherche de «la vérité sans fard» pour les familles endeuillées, a dit Declan Morgan au journal Belfast Telegraph cette semaine.

Clare Loughran affirme que sa famille ne renoncera pas à rechercher la vérité, malgré la fermeture des voies juridiques. «Les gens diront +Pourquoi n'essayez-vous pas de passer à autre chose, les Troubles sont terminés ?+, mais nous ne pouvons pas, nous continuerons à chercher justice, à respecter la mémoire des victimes».