«Tragique erreur» Il y a 80 ans, la «Perle de l’Atlantique» réduite à néant

AFP

3.1.2025

Le 5 janvier 1945, Royan est en ruines, victime d'un déluge nocturne de bombes alliées, qui a tué 442 civils: un enchaînement de ratés et de malentendus est à l'origine de la destruction de la cité côtière charentaise, encore tenue par les Allemands.

Le 5 janvier 1945, Royan est en ruines, victime d'un déluge nocturne de bombes alliées.
Le 5 janvier 1945, Royan est en ruines, victime d'un déluge nocturne de bombes alliées.
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La station balnéaire à la mode pendant l'entre-deux-guerres est l'une des «Poches de l'Atlantique», comme Lorient, Saint-Nazaire et La Rochelle, où les Allemands restent retranchés privant les Alliés d'accès aux ports.

A Royan, 5.000 soldats allemands verrouillent l'embouchure de la Gironde dans leur «Festung» (forteresse) encerclée par 15.000 soldats français, pour beaucoup d'anciens maquisards.

Le général De Gaulle insiste auprès du général Eisenhower, chef suprême de l'Etat-major des forces alliées en Europe (S.H.A.E.F), pour que Royan soit attaquée, selon l'historien Guy Binot ("Royan, 5 janvier 1945").

A Saintes le 18 septembre, De Gaulle évoque la nécessité d'un «projet offensif pour dégager l'estuaire de la Gironde, lors d'une démonstration de force pour inciter les Allemands des autres poches à se rendre», décrit un autre historien Stéphane Weiss, qui évoque aussi une «pression des milieux économiques» de l'époque pour rouvrir l'accès au port de Bordeaux.

Les états-majors français et américains se consultent le 10 décembre à Cognac pour préparer les bombardements tactiques précédant une attaque terrestre. Nom de code de l'opération: «Indépendance».

1.600 tonnes de bombes

Une carte des objectifs militaires à bombarder en périphérie de Royan est transmise aux Américains. Mais un dramatique enchaînement d'imprécisions aboutit à la destruction de la «Perle de l'Atlantique». «Il y eu des perceptions différentes et des absences de vérifications d'un échelon à un autre», dépeint Stéphane Weiss.

La Bataille des Ardennes, en Belgique - dernière offensive d'Hitler - repousse l'opération. Le S.H.A.E.F maintient néanmoins l'ordre de bombardement, alors que les Français pensent qu'il n'est plus d'actualité. Ils ne seront informés qu'une fois les opérations terminées, comme pour d'autres raids préalables des Américains en décembre.

«Deux télégrammes chiffrés sont adressés aux Français en soirée du 4 mais ils ne seront réceptionnés que dans la nuit et décodés qu'au petit matin» du 5 janvier, explique M. Weiss.

Entre-temps, entre 4H00 et 6H00 du matin, 347 bombardiers de la Royal Air Force ont largué 1.600 tonnes de bombes, en ciblant la cité balnéaire et non les défenses périphériques.

Une «tragique erreur» reconnaîtra après coup le général Edgard de Larminat, à la tête des Forces françaises de l'Ouest: le centre-ville est détruit à plus de 85%, 442 personnes sont mortes sous les bombes et 600 blessées. Les Allemands, qui ne résident pas dans le centre, enregistrent 47 décès et leurs fortifications sont intactes.

Deuxième raid en avril

Les événements sont ensuite passés sous silence. Les archives américaines, britanniques et françaises, classées pendant des décennies révèlent un possible malentendu supplémentaire autour de l'interprétation erronée de la mention «Royan area» pouvant désigner la ville ou la ceinture fortifiée.

S'ajoute un «manque d'attention porté aux civils», considérés comme «acquis à l'ennemi» par les forces assiégeantes, selon Guy Binot. Le commandement français assure également aux Américains que les derniers habitants auront été évacués mi-décembre, alors qu'il restait encore plusieurs milliers de civils «empochés» début janvier.

«Il y a un consensus politique pour frapper ces +Poches+», souligne M. Weiss qui évoque aussi «un effet d'inertie». «Des villes françaises, belges et allemandes se sont fait pilonner depuis des mois pour amoindrir les forces allemandes, ce n'est pas choquant pour les états-majors», ajoute-t-il.

«Ce fut une opération inutile car aucun objectif militaire majeur n'avait été atteint, ni visé», juge de son côté la responsable du service du patrimoine de Royan, Charlotte de Charette.

En avril 1945, le secteur subit de nouveaux raids, avec 5.000 tonnes de bombes larguées et 725.000 litres de napalm utilisé pour la première fois à titre expérimental, qui sont suivis cette fois de combats terrestres, aboutissant à la libération de la ville.

«Royan a ensuite été pillée par les troupes françaises, sans doute parce qu'elle a été considérée comme une ville de collabos n'ayant pas voulu quitter la ville avant les bombardements», ajoute Mme de Charette. M. Weiss évoque même «une double peine pour ses habitants».