Affaire du «carton suisse» Le banquier, l'avocat et le faux listing de fraudeurs fiscaux

ATS

6.6.2023 - 22:00

Un listing de milliers de prétendus fraudeurs fiscaux proposé aux douanes, au fisc, au parquet financier et à Mediapart... qui s'est avéré faux. Au tribunal de Paris, mardi, un banquier allemand et un avocat français ont comparu dans la mystérieuse affaire du «carton suisse».

(photo d'illustration).
(photo d'illustration).
KEYSTONE/LAURENT GILLIERON

Keystone-SDA

L'histoire commence en 2012, quand la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) reçoit une liste d'un certain «M. Schweizer» qui demande, en vain, «3000 euros par contribuable». L'année suivante, Mediapart est aussi rencardé par «M. Schweizer» mais le site d'information, après des vérifications, ne donne pas suite.

Début 2016, c'est la Direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF) qui reçoit une liste de 3200 noms ainsi qu'une clé USB, contenant des «relevés de fortune» à en-tête de trois banques (UBS, Hottinger et Julius Baer) et d'un gestionnaire de fortune. Les mêmes documents, qui comportent des noms des personnalités connues, sont envoyés le mois suivant au parquet national financier (PNF).

En novembre 2017, enfin, Mediapart reçoit cette fois deux cartons, livrés par deux inconnus et contenant 4000 documents: un mois plus tard, le journal en ligne publie un article démontrant leur falsification, conclusion aussi tirée successivement par le fisc et le PNF.

A l'issue d'une information judiciaire, deux hommes ont été renvoyés devant la justice. Deux hommes qui se faisaient «confiance» mais se contredisent, aujourd'hui, à la barre.

Un baron allemand de 61 ans, banquier, est soupçonné d'avoir fabriqué les faux documents, sophistiqués, afin d'obtenir de l'argent.

«Est-ce vous, M. Schweizer?» lui demande le président du tribunal. «Non», réplique via une interprète celui qui conteste tout rôle dans les faits de 2012-2013.

En 2015, en revanche, il affirme avoir reçu des documents d'un Suisse baptisé «Karl Widmer», les avoir seulement «survolés» et ne pas avoir su qu'ils étaient faux quand il les a transmis à son avocat, Me Jacky Petitot.

«J'ai pensé que ça pouvait être des gens qui fraudaient le fisc», justifie-t-il. «Je paye les impôts, c'est normal que les autres paient les impôts».

Ce «Karl Widmer», «je ne le connaissais pas. Il s'est présenté au téléphone comme étant de la famille de quelqu'un que je connaissais très bien», assure-t-il. «Il m'a donné, j'ai transmis».

«Rocambolesque»

Les investigations n'ont pas permis de retrouver cet homme. «Comment expliquez-vous que vous ne connaissiez ni son adresse, ni son téléphone?» demande le président.

«Quand on parle à quelqu'un, on ne demande pas sa pièce d'identité ou son numéro fiscal», répond le banquier.

L'enquête a montré qu'en février 2013, il a reçu une «mise en demeure» de sa banque lui réclamant 2,75 millions d'euros, dans une affaire d'hypothèque sur un château lui appartenant dans la Sarthe. «Jamais» il n'a demandé d'argent en échange des fichiers, contrairement à son avocat d'alors, jure-t-il.

A ses côtés, Me Jacky Petitot est poursuivi pour complicité de tentative d'escroquerie. Il explique que son client de 20 ans l'avait sollicité en 2015 afin d'"ouvrir des portes en France» pour un «lanceur d'alerte»: il avait alors pris contact avec le fisc.

L'avocat assure avoir agi de bonne foi, au nom «d'une certaine équité fiscale», assurant lui aussi ne «jamais avoir demandé à être payé, ni directement, ni indirectement».

Une «histoire rocambolesque», une affaire «gravissime» où «on a tenté d'instrumentaliser les services de l'Etat», puis «la presse», a estimé la procureure.

Déplorant que l'audience n'ait pas «permis d'avoir plus de réponse», elle retient néanmoins qu'il existe un «faisceau d'indices» contre le banquier, soulignant qu'il a travaillé dans les trois banques concernées par les relevés falsifiés et qu'un document «matrice» avait été retrouvé sur sa tablette.

Elle requiert contre lui 10 mois d'emprisonnement dont quatre ferme et une amende de 100'000 euros; 6 mois avec sursis et 30'000 euros d'amende contre l'avocat.

«J'ai entendu beaucoup de suppositions mais pas de démonstration», a plaidé Me Brigitte Plaza pour le banquier, demandant la relaxe. Me Petitot, un homme de «probité», s'est retrouvé «entre le marteau» de son client et «l'enclume» du fisc, a affirmé Me Francis Metzger, réclamant lui aussi la relaxe.

Jugement le 27 juin.