Interview Rose: «Je me demande comment les gens arrivent à être heureux sans substance»

Caroline Libbrecht/AllTheContent

3.3.2020

La chanteuse Rose est de retour avec un nouvel album et un livre.
La chanteuse Rose est de retour avec un nouvel album et un livre.
Laurent Seroussi

En 2006, Rose séduit le public avec la chanson «La liste». Son 1er album se vend à 650'000 exemplaires. Un énorme carton, à seulement 26 ans. Aujourd'hui, elle revient avec l'album et le livre «KEROSENE» qui raconte ses années d'errance et d'addictions...

Quel a été le déclic pour vous lancer dans l’écriture de ce livre et de cet album, «KEROSENE»?

Mon fils! J’avais écrit l’introduction du livre - qui évoque mon fils Solal qui se réveille en pleine nuit et débarque dans le salon, au milieu d’une grosse fête - et je n’avais pas imaginé que ce serait le début d’un livre. J’avais juste eu l’idée d’écrire les moments les plus douloureux de cette période d’addiction. Il fallait que je me souvienne de tout ce qui était horrible, odieux, inhumain. J’ai finalement tout incorporé dans ce livre.

Votre livre est sans concession, d’une lucidité implacable. Est-ce difficile de regarder sa vie en face, comme vous l’avez fait, sans faux-semblant?

Dans ma vie, je suis davantage drôle, mais là je voulais me mettre à nu et ne pas me laisser le choix: il fallait que je m’en sorte. Cette période-là était trop grave pour être abordée à la légère. Je ne voulais pas en rajouter dans le pathos ou rester dans le flou. J’ai choisi d’être factuelle, de raconter les choses exactement comme elles se sont passées, sans romancer.

Vous décrivez parfaitement une réalité qui a été la vôtre pendant quelques années, celle de consommer régulièrement de la cocaïne.

Plein de gens ne connaissent pas les effets de la cocaïne. Ils pensent qu’on est défoncés, alors qu’on peut sembler tout à fait normaux avec cette drogue. Certes, on est plus bavards, extravertis, on a la sensation d’être plus performants. Le drame survient quand les effets se dissipent. Il y a la redescente, le manque, la recherche de cet enthousiasme, de cette excitation. Je pense que j’avais un manque de joie au fond de moi. Je me demande comment les gens arrivent à être heureux sans substance. C’est dur à concevoir pour moi. Je vois des gens qui n’ont besoin de rien pour aimer la vie. Pour moi, ce n’est pas inné!

«Je pense que j’avais un manque de joie au fond de moi»

Quelles sont vos astuces pour voir la beauté des choses, apprécier la simplicité des choses?

J’ai fait des analyses, j’ai pris des antidépresseurs… Aujourd’hui, j’essaie de trouver les choses les plus saines pour y arriver: le sport, quelques exercices de respiration, la méditation, le yoga. Il m’arrive de relire des livres qui simplement me rappellent que la vie est belle, car j’ai tendance à l’oublier.

Vous avez un côté tête brûlée, un naturel fonceur et fougueux. Ce désir de vivre vite s’accorde bien avec les addictions. A 40 ans, comment êtes-vous parvenue à changer votre tempérament?

Cela fonctionnait quand j’étais jeune, ça me donnait de la joie et de l’insouciance. C’était beau de ne pas penser aux conséquences de mes actes et de profiter du moment présent. Mais je réalise que c’était une fuite face à la réalité. Aujourd’hui, je ne peux plus échapper à mes responsabilités, j’ai un fils, j’ai décidé d’arrêter de fuir. Il y a un moment - vers 40 ans, parfois plus tard - où le corps et le cerveau refusent ce qu’on leur inflige. Cela se fait naturellement et cela nous fait avancer.

Vous racontez aussi le succès fulgurant, à la suite de la chanson «La liste» qui vous a propulsée, en 2006. Puis le succès qui se tarit peu à peu…

Le succès, cela revient à recevoir beaucoup d’amour d’un coup. Ce n’est pas anodin quand on en reçoit moins. Le succès, les tournées, etc, ce sont les meilleurs souvenirs de ma vie, même si c’est le début de quelque chose de grave. J’ai voulu vivre ces moments jusqu’à la dernière miette!

A quel moment votre vie a-t-elle changé?

Quand je suis devenue maman. Est alors arrivée la culpabilité, celle qui nous ronge peu à peu. Je n’étais plus capable de m’occuper de mon enfant. Le corps nous lâche aussi un peu, avec l’âge. Quand j’étais enceinte et quand mon fils était jeune, j’ai réussi à être sobre, j’ai apprécié le moment de la grossesse, à l’écoute de mon corps. Ensuite, j’ai eu mon fils, j’ai allaité et, très vite, l’appel de la fête est revenu! Je commençais à en avoir ras-le-bol et à m’ennuyer. J’avais envie de retrouver les concerts, la route, les tournées, la liberté, ou plutôt la fuite. Jusqu’au moment où je me suis retrouvée maman célibataire, je ne me suis rendu pas compte de la gravité de ma situation. Une fois séparée, je n’y arrivais plus, c’était n’importe quoi! J’allais droit dans le mur, je n’avais plus d’excuses.

«C’est la lenteur qui m’a sauvée»

Et votre famille, s’est-elle rendu compte de vos addictions?

A ce moment-là, mes parents sont partis vivre en Israël, là où vit mon frère. Ma soeur vivait à Londres. On était éloignés physiquement. Ils ne se sont pas rendus compte de mes addictions. Pour la dépression, je n’arrivais pas à donner le change, ils sentaient bien que je déraillais. Ils s’inquiétaient pour moi. Le moment de vérité, ça a été quand j’ai accepté d’être hospitalisée, qu’on s’occupe de moi… Cette période a duré une année et demie, avec des sevrages, des rechutes… Ma mère est venue s’occuper de moi. Cela a été très dur, mais nécessaire, c’était le début de la guérison. Les anti-dépresseurs m’ont permis de sortir la tête de l’eau, de stopper les voix négatives que j’entendais en boucle dans ma tête. C’est la lenteur qui m’a sauvée: j’ai pris le temps, pour la première fois.

En quoi votre rencontre avec l’homme avec qui vous partagez aujourd’hui votre vie a-t-elle changé votre vie?

Cela change tout! Je ne l’ai pas cherché, je ne voulais pas d’histoire d’amour à ce moment-là. Mais cette histoire s’est imposée naturellement à moi. J’ai trouvé ça beau, et ça aurait été dommage de saboter cette relation. Parfois, quand tout va extrêmement bien, je peux avoir tendance à faire quelque chose pour tout ruiner. Heureusement, j’en suis consciente! (rires)

Comment abordez-vous votre tournée de concerts?

Ce spectacle est différent, il est porté par la sobriété. Tout sera toujours compliqué pour moi à cause de cette foutue seconde où tout peut basculer. J’ai une nature addictive et je ne peux pas me permettre de boire un verre, car ce serait très facile de retomber pendant un moment de doute. Quand on a connu l’enfer, on a peur… Aujourd’hui, je me dis qu’il vaut mieux marcher lentement sur le bon chemin que rapidement sur le mauvais chemin.

Rose, «KEROSENE», CD et livre (Editions Ipanema)

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