Interview Brigitte Lahaie: «On n'excusait en aucun cas le viol!»

Caroline Libbrecht/AllTheContent

19.7.2018

Brigitte Lahaie.
Brigitte Lahaie.
Bruno Charoy/AllTheContent

Incomprise après avoir signé une tribune qui dénonçait un certain féminisme post-Weinstein, Brigitte Lahaie développe une version nuancée du féminisme, pour réconcilier hommes et femmes. L'occasion aussi de se confier sur sa vie. Avec force et sérénité..

Bluewin: dans une tribune parue dans le «Monde» (9 janvier 2018), un collectif de 100 femmes, dont vous-même, dénonçait un certain féminisme post-Weinstein qui exprime une «haine des hommes». Quelques jours plus tard, vous avez affirmé, sur BFMTV, qu’il était possible de «jouir lors d’un viol», ce qui a déclenché beaucoup de réactions violentes. Votre livre «Le Bûcher des sexes» est-il une façon d’enfin vous expliquer et d’éclaircir le sens de vos propos?

Brigitte Lahaie: oui et non, ce n’est pas vraiment l’objectif de ce livre. Bien sûr, j’y ai raconté ce qui s’est passé et ce que j’ai vécu. Mais pour moi, le but du livre, c’est d’expliquer que, si on continue comme ça, on va détériorer les relations hommes-femmes. On est en train de stigmatiser les hommes qui ne savent plus très bien comment saisir les femmes aujourd’hui. Cette mise au point est plus générale que personnelle. Ce n’est pas un livre revendicateur parlant de moi.

Dans cette période post-Harvey Weinstein, redoutez-vous une «hystérisation» du débat?

Absolument! C’est le propos du livre. Il y a un retour du puritanisme ambiant. Je réclame la possibilité pour chaque femme d’être la femme qu’elle a envie d’être, et pas forcément une victime qui se sent abusée dès qu’un homme lui fait une réflexion qui ne lui correspond pas. Si la femme s’assume et s’affirme dans sa féminité, elle représente plus le sexe fort et elle sait mieux se positionner face à l’homme.

Regrettez-vous d’avoir signé cette tribune des 100 femmes, tribune tant décriée?

Aujourd’hui, non! Sur le moment, je me suis demandée pourquoi je m’étais engagée… Je l’ai signée car je trouvais ça bien qu’il y ait un contre-courant, mais je n’aurais pas écrit cette tribune-là: je la trouvais trop intellectuelle, pas assez dans le coeur du sujet. Cette tribune a été mal perçue, mais j’ai l’impression finalement que personne ne l’a lue! La première phrase était «Le viol est un crime»; on n’excusait en aucun cas le viol!

Vous avez soutenu que le viol peut procurer du plaisir, comment l’expliquez-vous?

Il y a des femmes qui sont abusées et il peut y avoir de la jouissance. La sexualité est quelque chose de très complexe. Je ne suis pas la seule à le dire. On estime ces cas à 20% des viols. C’était certainement inaudible, en pleine période #metoo, c’était comme si j’étais en train d’excuser le viol. Or, si on observe mon parcours et mon travail, j’ai toujours donné la parole aux femmes victimes de viols et j’ai toujours tenté de les aider à se reconstruire. Je ne peux pas être accusée d’être complice des violeurs.

«J’ai toujours donné la parole aux femmes victimes de viols et j’ai toujours tenté de les aider à se reconstruire.»

Vous considérez-vous comme féministe?

Oui, dans le sens où je milite depuis longtemps pour que les femmes aient la liberté de leur corps. Mais je ne me reconnais pas dans ce féminisme qui pose la femme comme victime. Je suis féministe de la période de libération sexuelle post-mai 68. C’était une époque où les femmes ont pu enfin s’habiller comme elles le voulaient, ne plus dépendre du revenu du mari… C’était une époque très marquante, au vu des avancées: avortement, contraception, etc. Les féministes d’aujourd’hui qui dénoncent les «porcs» mènent un combat assez minime par rapport à celles qui réclamaient le droit à l’avortement. Je ne comprends pas d’ailleurs ce qu’elles cherchent réellement à gagner. Je crains qu’elles ne perdent plus qu’elles ne gagnent. Je rencontre beaucoup de jeunes femmes qui me soutiennent. Le mouvement féministe actuel est très visible, mais sûrement pas majoritaire. En même temps, c’est bien que la parole se libère, mais ça aurait été bien qu’elle se libère avec plus de nuance.

Les films pornographiques de votre jeunesse étaient-ils un pas vers votre propre libération sexuelle?

Je ne dirais pas ça, car quand on est actrice de films pornographiques, on est plutôt victime, même si je ne me positionne jamais comme victime personnellement. C’était une manière de montrer comment, en tant que femme, on peut être libre de son corps et faire l’amour avec n’importe qui, sans forcément être amoureuse.

Vous avez commencé à jouer dans des films érotiques en 1976, alors que vous aviez 20 ans. Comment vos proches avaient-ils réagi, à l’époque?

C’était compliqué. Mes parents ne l’avaient pas mal pris: ils m’aimaient et ils ont accepté ce que je faisais, mais je ne peux pas dire que c’était facile pour ma mère. Je suis rentrée dans ce milieu par hasard. Je voulais être mannequin, je me rendais à des castings, mais on me faisait remarquer que j’avais une forte poitrine. J’ai répondu à une annonce et je me suis alors retrouvée à jouer dans des films pornographiques.

Comment s’est passée votre sortie du X?

La période de reconstruction n’a pas été facile. Ne pas renier son passé, assumer ses erreurs - admettons que ce soit une erreur, je veux bien l’entendre - c’est une clé essentielle dans la vie. Nos erreurs parlent aussi de nous et c’est en comprenant pourquoi on a pris un chemin de traverse qu’on avance.

Considérez-vous cette période de votre vie comme une erreur?

Ce n’est pas une erreur par rapport à mon destin et par rapport à ce que je suis devenue aujourd’hui. Mais oui, je pense que ce n’est pas le chemin idéal pour réussir sa vie. Et c’est difficile d’en sortir: je dirais que 9 femmes sur 10 se sentent stigmatisées. Au lieu de s’affirmer dans leur différence, elles vont baisser la tête. Moi, je n’ai jamais baissé la tête: j’ai toujours considéré que je n’ai fait de mal à personne et que personne n’avait le droit de me juger. Il y a une inégalité criante avec les hommes: ils s’en sortent mieux que nous, à ce niveau-là…

«Cela occasionne un traumatisme très grave similaire à celui d’un abus sexuel.»

Aujourd’hui, des professionnels de santé alertent sur la surexposition des mineurs aux images X, ils dénoncent la pornographie et son influence néfaste sur la sexualité des jeunes. Qu’en pensez-vous?

Je pense que la pornographie aujourd’hui est à l’image de ce qui se passe dans la société, dans les rapports hommes-femmes. Il n’y a pas à juger le porno plus qu’à juger la société. Mais avec l’association Ennocence* dont je suis la marraine, je tire la sonnette d’alarme sur le fait que c’est insupportable que des jeunes de 12 ou 13 ans tombent sur des images pornographiques. Selon moi, cela occasionne un traumatisme très grave similaire à celui d’un abus sexuel. Je ne comprends pas l’indifférence des pouvoirs publics et le manque de lucidité des parents.

Pourquoi n’avoir jamais choisi le chemin de la maternité?

C’est un choix personnel que j’ai fait vers 30-35 ans, lorsque la question d’enfanter s’est posée. Je n’en avais pas réellement envie. Je ne dois pas avoir d’instinct maternel. Aujourd’hui, franchement, je ne regrette vraiment pas ce choix-là. On est dans une société qui ne permet pas assez aux femmes de travailler sur leur désir d’enfant. Il y a un poids culturel qui pousse les femmes à avoir un enfant.

Aujourd’hui, dans votre émission de radio, on vous sent pleine d’empathie. D’où vous vient cette capacité d’écoute?

On choisit souvent un métier qui répare une blessure. J’ai énormément souffert, dans mon enfance, dans mon adolescence et à l’âge adulte, d’être incomprise. Notamment quand j’ai fait du porno. Cette blessure-là, je l’ai sublimée en écoutant les autres et en entendant ce qui se dit entre les mots.

Comment vivez-vous aujourd’hui?

J’ai quitté Paris en 1990. Depuis, je vis au calme, dans ma maison en région parisienne, avec mon époux et mes chevaux. Je reste très sociable, je vois souvent mes amis, mais j’apprécie cette différence entre ma vie professionnelle et ce retrait dans la nature. J’ai toute une vie spirituelle dont je parle peu - à base de méditation, de yoga et d’astrologie - et qui me convient bien. Je sais rester plusieurs jours sans voir personne, je n’ai pas besoin d’être dans l’hyperactivité. J’ai ce calme intérieur et j’ai appris à respirer, ce qui m’a beaucoup aidée à poser ma voix à la radio. Et à trouver ma voie! Je suis en paix avec moi-même, c’est ça le secret.

Retrouvez Brigitte Lahaie, dans son émission quotidienne, sur Sud Radio, de 14h à 16h.
En librairie: «Le bûcher des sexes» (Ed. Albin Michel)
Site internet de l’association Ennocence qui lutte contre la pornographie accessible aux mineurs sur Internet.

Le Bûcher des sexes
Le Bûcher des sexes
Ed. Albin Michel

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