Stan Wawrinka
"Ma carrière a totalement changé en acceptant cela"

Chris Geiger, à Genève.

19.2.2020

Montblanc avait convié la presse mardi soir à Genève afin d'annoncer sa nouvelle collaboration avec Stan Wawrinka. Le nouvel ambassadeur de la marque de luxe s'est ensuite longuement confié sur sa vision du tennis et sa philosophie du travail. Interview.

Stan Wawrinka: "Après ma grosse blessure, la question d'arrêter s'est posée."
Stan Wawrinka: "Après ma grosse blessure, la question d'arrêter s'est posée."
Keystone

Stan Wawrinka, comment décririez-vous votre passion pour le tennis?

"J'ai commencé le tennis à l'âge de huit ans avec mon frère. Au début, c'était simplement pour pratiquer un sport. C'est ensuite devenu quelque chose de 'fun', une activité que j'avais envie de faire de plus en plus. C'était à la base un jeu et ça l'est resté. C'est un aspect que je n'ai jamais oublié durant l'intégralité de ma carrière. Aujourd'hui, j'ai la chance de pouvoir continuer à vivre de cette passion. Si je continue à jouer au tennis et à m'entraîner très dur au quotidien, c'est pour vivre ce genre d'émotions qu'on ne retrouve nulle part ailleurs. C'est un pur plaisir d'entrer sur un court de tennis devant de nombreux supporters."

Justement, y a-t-il un public que vous vous réjouissez de retrouver chaque année?

"Le public suisse, forcément! A l'époque, je l'appréhendais et c'était un vrai problème. J'ai d'ailleurs très peu gagné en Suisse lors de mes premières années. Depuis quelques saisons maintenant, c'est devenu un pur bonheur de pouvoir jouer à la maison devant mes fans."

A l'inverse, est-ce motivant de jouer devant un public qui soutient ouvertement un adversaire?

"La motivation est toujours présente. Je m'adapte ensuite à l'ambiance et au public. J'ai la chance d'avoir toujours un peu de soutien, même lorsque les spectateurs sont pour mon adversaire, ces derniers restent toujours très respectueux. Je n'ai que très rarement eu un public contre moi. Je ne connais donc pas ce sentiment." 

Avec l'âge, votre approche du tennis a-t-elle changé?

"Je me sens toujours jeune, surtout mentalement. Je ne sais pas si j'éprouve ce sentiment en raison de l'âge ou de ma grave blessure (ndlr: il a subi deux lourdes interventions chirurgicales au genou en 2017). Je n'étais d'ailleurs pas sûr de revenir à mon niveau. Depuis cet épisode, j'apprécie les choses différemment. Mais si je me sens toujours jeune, c'est surtout car j'ai eu une sorte de deuxième carrière à partir de 29 ans. Après avoir passé une dizaine d'années dans le Top 20, j'ai enfin réussi à franchir un palier et j'ai pu intégrer le Top 5. Ma carrière tout en haut du classement est donc très courte. Et, comme elle est arrivée tardivement, je me sens toujours très frais."

Est-ce tout simplement la passion du tennis qui vous pousse à poursuivre votre carrière aujourd'hui?

"Oui, totalement. Après ma grosse blessure, la question d'arrêter s'est posée. La difficulté de revenir et le temps que ça allait me prendre étaient au centre des interrogations. Mais j'aime trop ce que je fais et je sais à quel point c'est une chance de pouvoir vivre de sa passion. C'est pourquoi j'ai eu envie de continuer et de profiter un maximum, le plus longtemps possible. J'espère d'ailleurs pouvoir encore jouer quelques années à un haut niveau." 

Vous avez désormais beaucoup d'expérience et de vécu. Lorsqu'un match semble vous échapper, quel processus mettez-vous en place pour trouver la solution?

"Malheureusement, je ne la trouve pas toujours... (rires) Au tennis, il y a un adversaire en face et on est seul sur le terrain. Il faut donc être capable de trouver des solutions en fonction du jour, de l'adversaire et du terrain. Je travaille sur ces aspects tous les jours à l'entraînement afin d'avoir un maximum de cartes en main lors des matches. C'est ensuite une sorte de puzzle durant les rencontres: il faut tout donner, vivre le moment présent et jouer point après point afin de se donner une chance de gagner."

Malgré cette stratégie, il y a toutefois généralement des hauts et des bas au cours de vos rencontres. Quelles émotions vous traversent l'esprit?

"Sous le stress et la pression, il y a forcément tout qui ressort. C'est la difficulté et la chance du tennis. Par exemple, lorsque je joue des matches en cinq sets en Grand Chelem, je sais que le match n'est jamais fini avant le dernier point. Et cela va dans les deux sens. Il faut donc rester calme et tenir sa ligne. Ce sont ces aspects du jeu que je travaille le plus à l'entraînement. Il faut, en effet, avoir une base solide afin de bien gérer l'émotion lors des moments cruciaux des matches. Le moment le plus important dans ma carrière, c'est le jour où j'ai été honnête avec moi-même au niveau de la nervosité et des émotions. Ma carrière a totalement changé en acceptant cela."

Vous avez mentionné le stress lors des matches. Comment le gérez-vous?

"Il ne faut d'abord pas oublier qu'il y en a des deux côtés du filet, qu'il y en a aussi certainement chez mon adversaire. Lorsque les émotions prennent le dessus, on a parfois du mal à prendre de la distance par rapport à ce qu'il se passe sur le terrain. Alors, quand je stresse, j'essaie de prendre un peu de distance par rapport au match en regardant la situation d'un oeil extérieur. J'essaie aussi de ne pas oublier que je me suis entraîné suffisamment dur pour gagner des matches même en étant nerveux. C'est ainsi que je nettoie les mauvaises pensées afin d'obtenir du positif. Le stress disparaît ensuite petit à petit."

Vous le dites, l'aspect mental est primordial dans votre sport. Il y a toutefois aussi le côté physique. Quelle est votre philosophie du travail?

"C'est l'envie de savoir si on a envie, de savoir ce qu'on veut. J'aime me mettre des objectifs et faire ce qu'il faut pour y arriver. Je suis fan de la mentalité 'Trust the process' (ndlr: faire confiance au processus) afin d'atteindre un but. Durant toute ma carrière, j'ai toujours travailler très dur. Toutefois, je ne me suis jamais dit: 'Si je travaille dur, le résultat va arriver.' Ce dernier n'arrivera peut-être pas, mais je peux contrôler ce que je fais jour après jour. Je peux contrôler mes entraînements physiques, mes sessions de tennis, l'heure à laquelle je me couche, ce que je mange, la façon dont je vais récupérer ou encore la manière dont je me repose. Je peux donc maîtriser ma manière de préparer un tournoi, mais pas les matches. Depuis mon opération, j'ai travaillé extrêmement dur pour retrouver cette rigueur. Je me sens d'ailleurs à nouveau vraiment capable de regagner de très gros matches depuis la préparation de cet hiver."

Gagner des très gros matches, vous savez effectivement le faire. Vous avez toutefois attendu d'avoir 29 ans pour remporter votre premier titre en Grand Chelem. Les échecs qui ont précédé votre triomphe à l'Open d'Australie en 2014 vous ont-ils été utiles?

"Au tennis, il est vrai qu'on perd un match pratiquement chaque semaine à chaque tournoi. Cette théorie s'applique également aux meilleurs joueurs du monde. La défaite n'est pas quelque chose de négatif si on a tout donné et qu'on s'est bien battu. Il y a beaucoup de positif à prendre. C'est quelque chose qu'on apprend pas forcément aux jeunes. A cet âge, la défaite rime avec négatif. Si on veut réussir une carrière dans le tennis, il faut pouvoir être lucide et apprendre de ses revers. Il faut en retirer ce dont on a besoin afin de pouvoir progresser. Perdre fait partie de notre routine. C'était encore mon cas lorsque j'étais numéro 3 mondial: je perdais un match à neuf tournois sur dix."

Vous évoquez la défaite. Quel adversaire vous a justement le plus remis en question au cours de votre carrière?

"Je me remets en question tous les jours. C'est ce qui me pousse à continuer de travailler pour progresser. Toutefois, l'adversaire le plus compliqué que j'ai affronté est Roger Federer. Ce n'est pas que d'un point de vue tennistique, mais aussi tout ce qu'il y a autour. Etant donné que c'est le plus grand joueur de tous les temps, je me dis que j'ai le droit de perdre contre lui... (rires)"

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