Les six derniers mois, ils ne sont pas moins de cinq (ex-)sportifs de haut niveau à avoir annoncé être atteints d'un cancer du testicule. Existe-t-il un lien entre sport et cancer ? Le Dr Daniel Benamran, chirurgien-urologue aux HUG, nous répond.
Après les footballeurs Sébastien Haller (28 ans), Jean-Paul Boetius (28 ans), Timo Baumgartl (26 ans) et Marco Richter (24 ans), l'ancien champion de ski alpin norvégien Aksel Lund Svindal (39 ans) est le dernier sportif en date à avoir révélé se battre contre un cancer du testicule.
En ce mois de novembre, dédié aux maladies masculines telles que le cancer du testicule comme le veut la tradition instaurée par le mouvement Movember, nous avons décidé de mener l’enquête sur ce mal qui touche, selon l’organe national d’enregistrement du cancer, près de 500 Suisses chaque année. Entretien avec le Dr Daniel Benamran, médecin-chef du service d’urologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Docteur Benamran, les cinq sportifs mentionnés ci-dessus ont tous dévoilé cette année être atteints d’un cancer du testicule. Le sport est-il connu comme étant un facteur de risque de cette maladie ?
«A ma connaissance, non, l’activité physique n’est ni protectrice ni facilitatrice, c’est-à-dire un facteur de risque, du cancer du testicule. En effet, de nombreuses études ont été faites sur la question, sans qu’une évidence claire ne se dégage. Le lien qu’on peut faire entre tous ces sportifs est que le cancer du testicule est un cancer du jeune. Au contraire d’autres cancers qui touchent l’homme vieillissant, le cancer du testicule est classiquement un cancer qui touche les hommes entre 20 et 40 ans. Les sportifs d’élite étant souvent des jeunes, il est donc attendu que l’on trouve plus de cancer du testicule que d’autres cancers chez eux.»
L’activité physique n’étant pas un facteur de risque, quels sont-ils ?
«Le facteur de risque le mieux évalué est la non-descente du testicule à la naissance, que l'on appelle une cryptorchidie. C’est tout ce qui va faire que le testicule ne va pas pouvoir poursuivre son développement et fonctionner de façon normale, que ce soit en termes de fonction endocrinienne, donc production de testostérone, ou en termes de fonction reproductrice, donc production des spermatozoïdes. Un testicule qui ne fonctionne pas est un testicule plus à même de dégénérer et et donc de développer un cancer.»
«L'autopalpation, sous la douche ou dans le bain, est la mesure la plus efficace»
Médecin-chef du service d’urologie des HUG
Comment est-ce qu’on détecte ce cancer du testicule ? Existe-t-il des symptômes ?
«Le symptôme le plus fréquent est la palpation d’une masse ou d’un nodule dans le testicule. Ce nodule peut être dur, faire augmenter de volume le testicule ou encore faire mal. Il y a certains types de cancer du testicule relativement rares qui provoquent des troubles hormonaux, qui peuvent par exemple se manifester par une augmentation du volume des seins. Quand le cancer n’est pas localisé, mais métastatique, ce qui ne veut pas dire qu’il n’est pas guérissable, il peut causer des symptômes généraux comme de la fatigue, de la toux, une perte de poids, une baisse de l’énergie ou encore des sudations.»
Outre la palpation, y a-t-il d’autres moyens de prévenir le cancer du testicule ?
«Non, l’autopalpation des testicules reste la mesure la plus efficace de détection de ce cancer, sans qu’il soit possible d’en prévenir l’apparition. En général, on recommande aux patients de se palper sous la douche ou dans le bain, quand le scrotum (ndlr : la poche qui entoure et protège les testicules) est relâché. Chaque homme sait à quoi ressemble son anatomie et en se palpant régulièrement, il arrivera à détecter s’il y a des petites modifications qui mériteraient une consultation chez son médecin traitant ou chez un urologue.»
On parle du cancer du et non des testicules, cette terminologie veut-elle dire qu’en cas de maladie un seul testicule est atteint ?
«La plupart du temps, oui. Seuls 1 à 2 % des cas sont bilatéraux.»
Quelle est l’incidence du cancer du testicule en Suisse ?
«Selon les derniers décomptes de l’OFSP, il y a eu en moyenne 473 nouveaux diagnostics de cancer du testicule en Suisse par année entre 2014 et 2018, pour «seulement» 13 décès par année.»
«On est pas méchants, venez nous consulter en cas de doute»
Recevez-vous régulièrement en consultation des patients atteints de cette maladie ?
«Oui, malheureusement ce n’est pas une pathologie qui est rarissime, même si le cancer des testicules n’est de loin pas le plus fréquent des cancers que l’on traite. Par exemple, nous effectuons dans le service chaque année depuis 2014 des campagnes de dépistage des maladies masculines dans le cadre de Movember. A cette occasion, on a tous les ans des jeunes qui viennent en nous disant qu’ils ont palpé un truc sans forcément oser consulter plus tôt, et cela aboutit à un diagnostic de cancer du testicule.»
Ce genre de situation malheureuse semble démontrer que le cancer du testicule représente encore un tabou. Vous confirmez ?
«Oui, certainement. Ce cancer touche la sphère intime de jeunes hommes, souvent en construction personnelle. Ils se disent certainement que ce cancer risque de toucher à leur virilité et leur fertilité. C’est donc naturel de ne pas oser en parler, mais il faut vraiment venir consulter car les traitements sont très efficaces et n’ont que peu d’effet sur la qualité de vie. Faire l'autruche n'est jamais vraiment une bonne idée.»
En ce sens, estimez-vous que le fait que des sportifs comme Sébastien Haller ou Aksel Lund Svindal rendent public leur diagnostic puisse faire avancer la cause ?
«Sans aucun doute. Je suis navré, je ne connais pas ces sportifs (rires), mais je suis sûr que ce sont des personnalités charismatiques auxquelles beaucoup de jeunes s'identifient. C’est important qu’ils partagent leur vécu et leur parcours, car il s’agit souvent de guérison complète et de rémission durable. Le fait que des sportifs en parlent en disant qu'ils ont vaincu ce cancer ne peut qu'aider à briser les tabous et inciter les patients hésitants à aller consulter. Je le répète, le cancer du testicule est facilement traitable. Il nécessite souvent de la chirurgie, parfois de la chimiothérapie, mais on y survit très bien.»
Et enfin, si vous aviez une chose à dire à quelqu'un qui n’oserait pas venir consulter par gêne, qu’est-ce que ça serait ?
«On n’est pas méchants (rires). Plus sérieusement, souffrir d’un cancer n’est pas une honte, ça arrive à beaucoup plus de monde qu'on ne le croit, et les traitements actuels permettent très souvent d’en guérir, sans toucher à la virilité ni à la sexualité, même si l’on doit parfois retirer un des deux testicules. Au final, c’est une chance que nous les hommes soyons redondants de ce point de vue-là.»