«Un romantique égaré au XXIe siècle»: plus que par son palmarès, Thibaut Pinot aura marqué le sport français par son personnage singulier et hors du temps, fuyant la célébrité et ses contraintes pour mieux retrouver son potager et ses chèvres.
«Solo la vittoria è bella»: seule la victoire est belle, proclame, en italien, la devise tatouée sur le bras droit du Franc-Comtois de 33 ans. Cette maxime de gladiateur lui ressemble, assurent ses proches, tellement Thibaut Pinot déteste perdre.
Pour autant, l'enfant hyperactif des Vosges est peut-être connu et aimé d'abord pour ses défaites, cruelles et sublimes, ainsi que les émotions qu'il aura semées pendant ses quatorze saisons professionnelles.
Le palmarès du grimpeur de l'équipe Groupama-FDJ a de l'allure: 33 victoires arrachées pour la plupart au panache, dont trois étapes du Tour de France, deux sur la Vuelta et une sur le Giro, ainsi qu'un Monument, le Tour de Lombardie, où il fera ses adieux samedi.
Mais ses échecs ont la beauté d'une tragédie grecque, comme lorsqu'il finit dans une ambulance, malade comme un chien, sur le Giro en 2018, ou qu'il abandonne sur le Tour de France 2019 à cause d'une blessure mystérieuse à la cuisse après avoir levé le fol espoir d'une première victoire française depuis 1985.
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«Être fan de Thibaut ça ne devait pas être toujours facile. Un coup c'est tout blanc, un coup c'est tout noir. Mais ça fait partie du personnage. C'est pour ça que les gens l'aiment tellement. Il va laisser un gros vide», explique à l'AFP son équipier David Gaudu.
Alors qu'à ses débuts, on s'agaçait parfois de son côté ronchon, pleurnichard, défaitiste, la trajectoire sinusoïdale du perdant magnifique de Mélisey, ses doutes et ses fragilités, ont forgé, au fil des abandons théâtraux suivis de renaissances flamboyantes, une popularité qui frôle l'irrationnel.
L'hystérie collective a atteint des sommets lors du dernier Tour de France où ils étaient des milliers à l'acclamer dans un «virage Pinot» monté de toutes pièces dans ses Vosges natales. Fan du PSG, «Tibopino» a son propre kop de supporters et de nombreux comptes à sa gloire qu'il adoube avec un sens certain de l'autodérision.
«Les gens se reconnaissent en lui parce qu'il est resté simple et qu'il ne cache pas ses émotions», soulignait sur le Tour son père Régis à la vue de la marée humaine venue s'incliner devant son fils.
Lui n'aime pourtant rien de plus que le «silence» et s'occuper de ses animaux dans sa ferme de Mélisey, en Haute-Saône. Interrogé sur la première chose qu'il allait faire une fois retraité, il répond: «aller au jardin tranquille, tout seul au potager», entre deux parties de pêche et de pétanque, en rêvant à son projet de monter des chambres d'hôte.
Pinot, qui se décrit «comme un peu sauvage et timide», continue à s'étonner de sa popularité et avoue que son personnage le dépasse: «j'ai toujours trouvé qu'on en faisait peut-être un peu beaucoup».
«Il préfère être anonyme»
«Son statut d'icône, il s'en fout complètement. Il pense à sa vie et à sa ferme. C'est un passionné de vélo mais il ne veut pas être une star. Il préfère être anonyme», décrit auprès de l'AFP le coureur de Cofidis, Anthony Perez, un de ses meilleurs amis dans le peloton.
A Mélisey, Pinot va couper sans regret avec un cyclisme ultra pro dans lequel il ne se reconnaît plus. «Aujourd'hui, le vélo c'est les datas, les courbes de puissance, les watts et il est en décalage par rapport à ça. C'est un coureur spontané, instinctif, authentique. Thibaut, c'est un romantique égaré au XXIe siècle», dit à l'AFP son manager de toujours, Marc Madiot.
Pinot revendique son «côté décalé», lui qui refuse de «vivre comme un moine pour performer». Aurait-il pu aller plus loin ? Gagner le Tour de France, alors que certains estiment que son abandon improbable en 2019 était une sorte d'acte manqué vu son peu d'appétence à devenir quelqu'un de «vraiment célèbre» ?
«On ne le saura jamais», balaye Madiot qui relève toutefois «le paradoxe d'un coureur que l'on croit faible mais qui est en réalité un vrai dur au mal».
«Je pense qu'il est content surtout de la trace qu'il va laisser humainement. Celle d'un mec qui a galéré, qui a vécu des échecs mais qui s'est battu avec ses moyens, proprement», insiste Pérez.