Constat alarmant«Les gens sont moins attentifs à la pauvreté que durant la période du Covid»
Gregoire Galley
17.11.2023
Selon une étude sur la précarité réalisée dans le canton de Fribourg, plus de 25'000 Fribourgeois peinent à boucler leurs fins de mois, se trouvant à la limite de basculer dans la zone rouge. Témoin direct de cette situation inquiétante, Jean-José Ruffieux, président de Caritas-Gruyère, nous raconte son engagement avec son équipe de bénévoles. Entretien.
Gregoire Galley
17.11.2023, 07:30
Gregoire Galley
Quel est le profil social des personnes qui sont aidées par Caritas-Gruyère ?
«Nous aidons des personnes qui ont des profils sociaux très variés. Cependant, la plupart sont des gens défavorisés qui ont de la difficulté à s’intégrer car ils n’ont pas de travail ou ne maîtrisent pas correctement notre langue. Nous devons aussi venir en aide à des familles dont les couples sont séparés où la mère se retrouve seule à devoir s’occuper de ses enfants.
«Il y a également des adultes et des jeunes qui ont des ennuis de santé. Finalement, j’aimerais aussi mentionner les personnes qui ont de la peine à gérer leur argent et qui, par conséquent, croulent sous les dettes. Dans cette catégorie, on retrouve malheureusement beaucoup de jeunes adultes.»
Y-a-t-il des gens qui ont peur ou même honte de demander de l’aide ?
«Il y a très probablement des gens qui ont une certaine crainte à venir vers nous. Toutefois, j’aimerais vraiment souligner le fait que nous ne sommes pas dans le jugement quand nous aidons des personnes démunies. Au contraire, nous sommes davantage dans l’empathie et surtout à l’écoute de leurs problèmes.»
Allez-vous à la rencontre de ces personnes pour les inciter à recevoir de l’aide ?
«Malheureusement, nous ne sommes pas en mesure de faire cela car nous ne décelons pas nécessairement les personnes qui ont besoin d’aide. De plus, comme nous fonctionnons uniquement avec des bénévoles en Gruyère, nous n’avons pas les ressources nécessaires pour aller à la rencontre de la population démunie.»
«En revanche, je tiens à préciser que Caritas accueille des individus en difficulté sans rendez-vous, au contraire de plusieurs autres associations caritatives. Par la suite, nous pouvons les aider en leur offrant de la nourriture, en leur payant certaines factures ou encore par notre écoute et nos conseils. En règle générale, notre aide est ponctuelle. Cependant, nous ne donnons pas d’argent car nous devons faire un suivi des dons financiers que nous offrent nos généreux donateurs.»
Avec le renchérissement du coût de la vie, votre association doit-elle venir en aide à un plus grand nombre d’individus ?
«Il est vrai que depuis cet été, nous devons subvenir aux besoins d’un plus grand nombre de personnes. Avec l’inflation qui augmente, nous voyons que certains individus qui se situent juste en-dessous de la classe moyenne n’arrivent plus à joindre les deux bouts ce qui n’était moins le cas auparavant. Pour preuve, le repas-partage que nous organisons chaque lundi voit venir de plus en plus de démunis ou de personnes seules ou isolées, à tel point que nos locaux deviennent presque trop petits pour accueillir autant de monde.»
«Caritas-Gruyère participe aussi à Table Couvre-toi, en collaboration avec la Fondation pour les familles de la Gruyère (AFAG) et la Conférence St-Vincent de Paul de la Gruyère (CSVP), où de la nourriture est distribuée gratuitement à des personnes et des familles dans la précarité chaque jeudi. Enfin, pour aider encore davantage de monde, une épicerie Caritas sera normalement ouverte à Bulle en février 2024. Afin d’avoir accès à ce magasin, les personnes dans le besoin devront disposer d’une carte d’achat délivrée par Caritas-Gruyère, les services sociaux, les centres de consultation ecclésiastique ou encore par les bureaux de prestation complémentaires AVS et AI.»
«Finalement, hormis la hausse du coût de la vie, la Gruyère a connu un boom démographique ces dernières années. Par effet boule de neige, cela a aussi augmenté le nombre de démunis dans la région.»
Caritas-Gruyère est notamment financé par des paroisses, des entreprises ou encore des particuliers. Ressentez-vous une diminution de ce soutien ?
«Oui, nous ressentons une diminution de ces différents soutiens. Concernant les paroisses, nous recevons moins d’argent de leur part puisque moins de gens participent à la messe. Plus globalement, les gens sont moins attentifs à la précarité que durant la période du Covid-19 par exemple.»
«La plus belle réussite de notre association est de voir l’engagement de nos bénévoles»
Jean-José Ruffieux
Président de Caritas-Gruyère
L’État en fait-il assez pour lutter contre la précarité ?
«Il faut savoir qu’il existe déjà plusieurs structures de soutien telles que des subventions ou encore l’aide sociale. Cependant, je pense que l’État pourrait tout de même venir en aide plus régulièrement aux associations caritatives.»
Que pourrait-on souhaiter à Caritas-Gruyère pour les années à venir ?
«D’abord, j’espère que l’on pourra maintenir le niveau d’aide que nous pouvons offrir aujourd’hui en garantissant le soutien des entreprises, des paroisses, des communes et des privés. Évidemment, nous aimerions aussi voir moins de monde venir chez nous. Cependant, il faut être réalistes dans la mesure où la Gruyère est une région qui connait une forte croissance. De ce fait, il y aura inévitablement davantage de personnes démunies.»
Pourriez-vous partager un exemple de réussite ou d’histoire inspirante qui vous a touché ?
«Pour moi, la plus belle réussite de notre association est de voir l’engagement de nos bénévoles. Je suis vraiment reconnaissant envers ces personnes qui soutiennent, écoutent et conseillent des gens qui se retrouvent dans la misère.»