La Russie a décidé mardi de quitter le Conseil de l'Europe, accusant l'Otan et l'Union européenne d'en avoir fait un instrument au service de «leur expansion militaro-politique et économique à l'Est», au 20e jour de l'invasion de l'Ukraine par les forces russes.
«La notification du retrait de la Fédération de Russie de l'Organisation» a été remise mardi à sa secrétaire générale Marija Pejcinovic Buric, a indiqué dans un communiqué le ministère russe des Affaires étrangères. Une notification bien reçue par Mme Buric, a confirmé Daniel Höltgen, porte-parole du Conseil de l'Europe.
Vigie des droits humains en Europe, celui-ci, créé en 1949, réunissait jusqu'alors la quasi-totalité des Etats du continent, 47 au total, dont la Russie depuis 1996, et l'Ukraine, depuis 1995. Seul le Belarus, allié de Moscou, n'en faisait pas partie.
«Ceux qui nous forcent à prendre cette mesure porteront toute la responsabilité de la destruction de l'espace humanitaire et juridique commun sur le continent et des conséquences pour le Conseil de l'Europe lui-même, qui, sans la Russie, perdra son statut paneuropéen», a repris le ministère russe des Affaires étrangères.
«Pressions sur la Russie»
Principale conséquence concrète de ce retrait, les 145 millions de Russes ne vont plus pouvoir bénéficier de la protection de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), le bras judiciaire du Conseil de l'Europe, ultime recours contre l'arbitraire des tribunaux de leur pays.
Moscou est en effet le principal pourvoyeur de dossiers devant la CEDH: plus de 24% des affaires actuellement pendantes devant le bras judiciaire du Conseil concernent en effet la Russie, avec certains dossiers emblématiques, comme celui de l'opposant Alexeï Navalny.
Dans son communiqué, la diplomatie russe accuse justement les institutions du Conseil de l'Europe, y compris la CEDH, d'avoir été «systématiquement utilisées pour exercer des pressions sur la Russie et s'ingérer dans ses affaires intérieures».
Moscou avait déjà été suspendu du Conseil au lendemain de l'invasion de l'Ukraine le 24 février. Et plusieurs officiels russes avaient laissé entendre en fin de semaine dernière que Moscou s'apprêtait à quitter définitivement le Conseil de l'Europe, mais aucune demande formelle n'avait été effectuée jusque-là.
Ainsi, l'Assemblée parlementaire de l'institution (APCE) était encore réunie lundi et mardi pour se prononcer sur l'exclusion éventuelle de la Russie de l'organisation, au vu des «graves violations du Statut du Conseil de l'Europe» commises avec l'invasion de l'Ukraine.
«Manoeuvre grossière»
La Russie a préféré prendre les devants et annoncer elle-même qu'elle claquait la porte, avant de subir l'humiliation d'une exclusion.
Conséquence non négligeable, ce départ de la Russie va priver le Conseil de l'Europe de près de 7% de son budget annuel, d'environ 500 millions d'euros.
«Cette annonce, c'est du cynisme de la part de la Russie», a réagi Lisa Yasko, membre de la délégation ukrainienne à l'APCE.
«Ils pensent qu'ils peuvent sauver leur réputation, mais le monde entier sait les crimes qu'ils commettent. C'est tellement drôle que cette annonce arrive quelques heures avant que la Russie ne soit de toute façon exclue par l'organisation. Cela aurait dû arriver avant, mais il n'y a pas d'outil assez puissant dans cette organisation pour arrêter les crimes de la Russie. On vit une page dramatique de notre histoire et mon pays paye un prix très élevé», a-t-elle ajouté.
«C'est une manoeuvre grossière pour essayer de minimiser ce qu'on est en train de voter», a acquiescé Nicole Trisse, cheffe de la délégation française et vice-présidente de l'APCE. «Ce sont quand même 46 nations qui sont là, qui débattent et il y a une unanimité en faveur de l'exclusion de la Russie: ça n'a jamais eu lieu, c'est inédit depuis la création du Conseil de l'Europe.»
C'est la deuxième fois que l'institution est confrontée à un tel scénario: la Grèce avait en effet procédé de manière identique, quittant le Conseil avant d'en être chassée, en 1969, sous le régime dictatorial des colonels. Elle l'avait réintégré en 1974.
En 2014 déjà, les parlementaires russes siégeant à l'APCE avaient été privés de leurs droits de vote après l'annexion de la Crimée par la Russie. Après cinq années de vives tensions, la délégation russe avait pu réintégrer l'APCE en 2019, au grand dam des parlementaires ukrainiens.
Le Comité des ministres du Conseil de l'Europe doit tenir une réunion mercredi pour statuer sur la situation.