En 1815 Une éruption en Asie à l’origine d’une situation critique en Suisse

De Philipp Dahm

23.5.2020

La caldeira du Tambora aujourd’hui.
La caldeira du Tambora aujourd’hui.
Nasa

Il y a 205 ans, une montagne a explosé. L’éruption du Tambora a tué des dizaines de milliers de personnes en Indonésie – et semé la mort et la destruction à 15'000 kilomètres de là, en Suisse, jusqu'à l’année suivante.

L’indice d’explosivité volcanique (échelle VEI) est aux éruptions volcaniques ce que l’échelle ouverte de Richter est aux séismes. Il s’agit également d’un indice ouvert: le niveau le plus élevé observé à ce jour se situe à 8 et a été atteint pour la dernière fois il y a 26'500 ans en Nouvelle-Zélande ou il y a 74'000 ans sur l’île indonésienne de Sumatra – selon le point de vue.

Lorsque la dernière éruption d’indice 7 en date ébranle la Terre, la science est déjà en mesure d’enregistrer l’événement – même s’il faudra cent ans pour comprendre qu’il s’agit d’un événement unique au cours du siècle et aux conséquences mondiales. Les 10 et 11 avril 1815, le Tambora, dans l’actuelle Indonésie, explose. En plus de semer la mort et la destruction dans la région, son éruption condamnera le monde entier à une «année sans été» en 1816.

La violence de cette éruption ne transparaît pas immédiatement à la lecture des chiffres. Suite à l’éruption d’une force comparable à 30'000 mégatonnes de TNT, 140 milliards de tonnes de matière sont éjectées. Des cendres sont dispersées sur un rayon de 1300 kilomètres.

Une catastrophe naturelle inédite

Cet aspect-ci est peut-être plus parlant: le Tambora, qui faisait partie des plus hautes montagnes de la région du haut de ses 4300 mètres, ne culmine qu’à 2800 mètres après son explosion.

Encore à titre de comparaison, le grand volcan est le Tambora, le petit volcan est le Vésuve.
Encore à titre de comparaison, le grand volcan est le Tambora, le petit volcan est le Vésuve.
WikiCommons/geoethno

Il s’agit d’une catastrophe naturelle comme l’homme moderne n’en a peut-être jamais connu auparavant – et dont le monde entier ressentira les conséquences. Un petit pays situé à 15'000 kilomètres de là sera particulièrement touché par la suite: la Suisse.

Mais revenons d’abord dans les possessions coloniales néerlandaises dans les Indes orientales, en Asie du Sud-Est. C’est grâce à un pionnier anglais que nous sommes encore en mesure de relater les événements survenus là-bas à l’époque: En 1815, Sir Stamford Raffles est lui-même témoin à distance de l’éruption, mais recueille surtout des témoignages d’autochtones.

L’éruption dans les sources contemporaines

Le raja de la principauté aujourd’hui disparue de Saugar y décrit l’éruption du 10 avril en ces termes: «En peu de temps, toute la montagne à proximité de Saugar s’est transformée en une masse de feu liquide s’étendant dans toutes les directions. Le feu et les colonnes de flammes continuaient de sévir avec une fureur ininterrompue, avant d’être obscurcis par la chute abondante de matière aux alentours de 20 heures. Des pierres épaisses tombaient alors sur Saugar. Certaines étaient aussi grosses que deux poings, mais généralement, elles n’étaient pas plus grosses que des noix.»

Des coulées pyroclastiques dévalent ensuite la montagne: «Entre 21 et 22 heures, des cendres ont commencé à tomber et peu après, un violent tourbillon a détruit presque toutes les maisons du village de Saugar, emportant avec lui des toits et des pièces légères. Dans la partie de Saugar jouxtant le Tambora, ses effets ont été beaucoup plus violents puisqu’il a arraché les racines des plus grands arbres et les a emportés [jusqu’à la mer], tout comme des hommes, des maisons, du bétail et tout ce qui se trouvait sur son chemin. […] Aucune explosion n’a été entendue jusqu’à la fin du tourbillon, vers 23 heures.»

Ensuite, la montagne se déchaîne: «De minuit jusqu’au soir du 11 avril, [il y a eu des explosions] sans interruption. Par la suite, leur violence s’est atténuée et on ne les entendait que par intervalles.»

Par ailleurs, lorsque les tremblements de terre ont commencé le 5 avril, les gens pensaient encore que le grondement venait de canons. Mais depuis que la pluie de cendres a commencé, il est désormais clair qu’un volcan en était la cause. Les explosions du 10 avril au 11 avril 1815 se feraient entendre à 2600 kilomètres de là.

Des conséquences fatales à l’échelle mondiale

Les explosions faiblissent ensuite. «Mais [elles] ne se sont pas arrêtées avant le 15 juillet.» En revanche, les mauvaises récoltes touchent durement la population: sur des centaines de kilomètres, tout est recouvert de cendres. «La famine a été telle que même une [des] propres filles [du raja de Saugar] est morte de faim», relève Sophia, la deuxième épouse de Sir Stamford Raffles.

Les maladies ne sont pas moins désastreuses: «Depuis l’éruption, la population de la région de Bima, Dompo et Saugar a été touchée par de violentes diarrhées qui ont tué de nombreux habitants. Les autochtones pensent que cela est dû à la consommation d’eau polluée par des cendres. Et un grand nombre de chevaux ont succombé aux mêmes causes.»

L’impact de cette catastrophe survenue dans les «Indes néerlandaises» sur le sort de la Suisse est dû à la violence inouïe de l’éruption. La colonne de fumée s’élève à 43 kilomètres de hauteur. Des gaz sulfureux pénètrent ainsi dans la stratosphère, se répandent le long de l’équateur et se désintègrent pour former de minuscules particules qui, en l’espace d’un an, recouvrent la planète comme un voile.

Les effets à retardement de l’éruption volcanique: un an après, un voile de soufre refroidit la Terre.
Les effets à retardement de l’éruption volcanique: un an après, un voile de soufre refroidit la Terre.
Oeschger Center/Uni BE

La France et la Suisse, pays les plus touchés

Il en résulte une diminution des heures d’ensoleillement, une chute des températures et un été humide – et donc des mauvaises récoltes dans une Europe qui vient de sortir des guerres napoléoniennes.

A Genève, le mercure enregistre une baisse de 2,5 à 3 °C, mais la situation en Suisse occidentale est encore relativement bonne: en 1816, l’Oberland zurichois mais surtout la Suisse orientale connaissent une famine catastrophique qui emporte jusqu’à dix pour cent de la population.

Moins de soleil, des températures plus basses, plus de précipitations: la France et la Suisse sont les pays d’Europe les plus durement touchés par l’«année sans été».
Moins de soleil, des températures plus basses, plus de précipitations: la France et la Suisse sont les pays d’Europe les plus durement touchés par l’«année sans été».
Oeschger Center/Uni BE

L’« année sans été» provoque une hausse critique des prix suite aux mauvaises récoltes, comme le décrit très clairement un travail de recherche de l’université de Berne .

«Les prix annuels moyens ont doublé ou triplé sur de nombreux marchés en Europe entre 1815 et 1817. En Suisse, l’inflation se situe entre 22% à Genève et 600% à Rorschach. A une époque où la majorité de la population devait consacrer 60% à 70% de ses revenus à l’alimentation, beaucoup n’avaient plus les moyens d’acheter leur pain quotidien.»

L’éruption du Tambora laisse une trace durable partout dans le monde. En 1817, elle provoque encore de graves inondations en Europe. Aux quatre coins du monde, les terres cultivées s’étendent alors qu’en Chine, les agriculteurs cultivent désormais le pavot pour réduire leur dépendance. Il faudra un siècle pour que l’ampleur mondiale de la catastrophe naturelle soit reconnue et expliquée.

Cette carte réalisée en 1847 par Heinrich Zollinger montre jusqu’où les cendres se sont répandues suite à l’éruption du Tambora.
Cette carte réalisée en 1847 par Heinrich Zollinger montre jusqu’où les cendres se sont répandues suite à l’éruption du Tambora.
Domaine public

La Suisse est impliquée depuis le début: la première personne à avoir osé gravir le Tambora après la catastrophe a été le professeur et botaniste suisse Heinrich Zollinger, en 1847.

Aujourd’hui encore, cette éruption volcanique survenue en Indonésie nous rappelle qu’il ne faut pas sous-estimer les conséquences planétaires du changement climatique.

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