Témoignages Un palais sous le choc: comment Bachar al-Assad a fui la Syrie

ATS

14.12.2024 - 17:44

Quelques heures avant la chute de Damas, le 8 décembre, le président syrien Bachar al-Assad a pris la fuite sans prévenir des membres de sa famille ou ses plus proches collaborateurs, révèlent à l'AFP plusieurs hauts responsables syriens.

L'ex-président syrien Bachar al-Assad, lors d'une interview à Damas en 2019 (archives).
L'ex-président syrien Bachar al-Assad, lors d'une interview à Damas en 2019 (archives).
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Il avait même appelé sa conseillère de presse samedi soir pour lui demander de lui préparer un discours, avant de prendre un avion depuis l'aéroport de Damas pour la base russe de Hmeimim (ouest).

«Il est parti sans prévenir (...) ses proches collaborateurs. De la base russe, un avion l'a conduit à Moscou», raconte un conseiller qui a requis l'anonymat pour des raisons de sécurité.

«Son frère Maher», qui commandait la redoutée quatrième brigade de l'armée, «l'apprend par hasard alors qu'il est avec ses soldats pour défendre Damas. Il décide de prendre un hélicoptère pour fuir, semble-t-il, vers Bagdad», ajoute-t-il.

Les hauts fonctionnaires et d'autres sources ont livré à l'AFP le récit des dernières heures du président qui a gouverné la Syrie d'une main de fer pendant 24 ans.

Navire sans capitaine

Lorsque les rebelles dominés par des islamistes lancent leur offensive dans le nord de la Syrie le mercredi 27 novembre, Bachar al-Assad se trouve à Moscou où son épouse Asma est soignée d'un cancer.

Il n'apparaît pas à la soutenance de la thèse de doctorat de son fils Hafez deux jours plus tard, alors que toute la famille y assiste, selon un fonctionnaire de la présidence qui a requis l'anonymat.

Samedi 30 novembre, quand il rentre de Moscou, Alep, la grande ville du nord, est déjà tombée.

Quelques jours plus tard, la rébellion s'empare des villes de Hama et Homs dans le centre, avant de prendre en tenaille Damas, une semaine plus tard.

«Ce samedi (7 décembre), Assad ne nous a pas rencontrés. Nous savions qu'il était là, mais nous n'avons pas eu de réunion avec lui», affirme un haut fonctionnaire du palais présidentiel qui a requis l'anonymat pour des raisons de sécurité.

«Nous étions au palais, nous n'avions aucune explication et cela a causé beaucoup de confusion au niveau de la direction et même sur le terrain», explique-t-il.

«Depuis la chute d'Alep, nous ne l'avons plus rencontré, ce qui était très étrange», dit-il. En milieu de semaine, il a réuni les chefs des services de renseignements pour les rassurer.

Mais dans les faits, il n'y avait plus de capitaine à bord. «La chute d'Alep nous a bouleversés», relate ce haut fonctionnaire.

Puis c'est le tour de Hama, ville clé du centre. «Jeudi, j'ai parlé à 11h30 avec des militaires de Hama qui m'ont assuré que la ville était verrouillée et que même une souris ne pourrait pas passer», raconte à l'AFP un colonel sous couvert d'anonymat.

«Deux heures plus tard, ils ont reçu l'ordre de ne pas se battre et de se redéployer à Homs, plus au sud. Les soldats (...) sont désemparés et changent de vêtements, jettent leurs armes et tentent de rentrer chez eux. Qui a donné l'ordre? On ne sait pas», ajoute-t-il.

A Homs, le gouverneur assure à un journaliste qu'il a demandé à l'armée de résister, mais c'était en vain: personne ne défendra la ville.

Un discours sans cesse reporté

Samedi matin, l'idée d'un discours d'Assad est évoquée. «Nous avons commencé à installer l'équipement. Tout était prêt», dit le fonctionnaire. «Plus tard, nous avons été surpris d'apprendre que le discours était reporté, peut-être à dimanche matin».

Tous les hauts responsables ignoraient qu'à ce moment, l'armée syrienne avait commencé à brûler ses archives, selon lui.

Samedi à 21h00, «le président appelle sa conseillère politique Bouthaina Chaabane pour lui demander de lui préparer un discours et de le présenter au comité politique qui doit se réunir dimanche matin», raconte à l'AFP un autre haut responsable.

«A 22h00, elle le rappelle, mais il ne répond plus au téléphone», ajoute ce proche collaborateur d'Assad.

Dans la soirée, le directeur de médias de la présidence Kamel Sakr dit à des journalistes: «Le président va faire une déclaration très bientôt», puis il ne répond plus au téléphone, tout comme le ministre de l'Intérieur Mohammed al-Rahmoun.

Le haut fonctionnaire affirme être resté au bureau jusqu'à 02h30. «Nous étions prêts à recevoir à tout moment une déclaration ou un message d'Assad. Nous n'aurions jamais imaginé un tel scénario. Nous ne savions même pas si le président était encore au palais», raconte-t-il.

Plus que deux dans le bureau

Aux environs de minuit, il est informé que le président aura besoin d'un cameraman pour un événement prévu le matin. «Cela nous a rassurés sur le fait qu'il était encore là (...)», dit-il.

Mais vers 02h00, un officier des services de renseignement l'appelle pour lui dire que tout le monde avait quitté les lieux.

«J'ai été choqué. Nous n'étions plus que deux dans le bureau. Le palais était quasiment vide, et nous étions dans une grande confusion», dit-il.

À 02h30, il quitte le palais. «En arrivant sur la place des Omeyyades, il y avait plein de soldats en fuite, cherchant un moyen de transport».

«Ils étaient des milliers, venant du complexe sécuritaire, du ministère de la Défense et des autres branches de sécurité. Nous avons appris que leurs supérieurs leur avaient ordonné de fuir», relate-t-il.

«La scène était effrayante: des dizaines de milliers de voitures quittaient Damas, tandis qu'encore plus de gens marchaient à pied sur la route. À ce moment-là, j'ai compris que tout était perdu et que Damas était tombée».