Dossier ukrainienPékin sur une ligne de crête entre Russie et Occident
ATS
23.2.2022 - 08:28
Opposition à l'OTAN, appel au respect des intérêts russes: si la Chine soutient certaines revendications de la Russie, pays ami, elle a clairement signifié qu'elle ne soutiendrait pas une invasion de l'Ukraine.
23.02.2022, 08:28
ATS
Le 4 février, juste avant le début des JO d'hiver de Pékin, les diplomaties russe et chinoise avaient publié un communiqué commun au ton très ferme, signe d'un rapprochement peut-être sans précédent depuis des décennies. Dans le texte figurait le soutien chinois à l'une des principales revendications de Moscou: «l'opposition» commune à «l'expansion de l'OTAN».
Cette prise de position de Pékin sur la sécurité en Europe est un «changement radical», estime le sinologue Kevin Rudd, ex-premier ministre australien. «C'est la Chine qui devient un acteur de la sécurité mondiale d'une manière que je n'avais jamais vue auparavant», a-t-il déclaré lors d'une visioconférence organisée par l'institut américain Atlantic Council.
Un exercice délicat
La position de Pékin sur l'OTAN et son appel à respecter les préoccupations «raisonnables» de Moscou en matière de sécurité ont toutefois placé le géant asiatique sur une ligne de crête diplomatique. La Chine cherche un équilibre entre d'un côté ses liens étroits avec la Russie et de l'autre ses intérêts en Europe.
Certains dirigeants politiques ont ainsi vu dans le soutien de Pékin une carte blanche donnée à Moscou pour une invasion de l'Ukraine. «C'est une distorsion de la position chinoise», a réagi samedi le ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi, qui s'exprimait en ligne à la conférence de Munich sur la sécurité.
«La souveraineté, l'indépendance et l'intégrité territoriale de tous les pays doivent être respectées et défendues [...] L'Ukraine ne fait pas exception», a-t-il lancé. La Chine est d'autant plus à cheval sur la question qu'elle fait elle-même face à des velléités séparatistes (Ouïghours, Tibétains).
On imagine donc sans mal que l'initiative lundi du président russe Vladimir Poutine doit embarrasser Pékin. Le maître du Kremlin a reconnu l'indépendance des deux régions séparatistes de l'est de l'Ukraine et a annoncé l'envoi de forces russes de «maintien de la paix» dans ces territoires.
Risque politique
La décision a été largement condamnée lors d'une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU. La Chine s'est, elle, contentée d'appeler les parties à la «retenue». Ce n'est pas la première fois que Pékin est tiraillé entre son amitié pour Moscou et les décisions controversées de l'homme fort du Kremlin.
Lors de l'annexion de la Crimée en 2014, la Chine n'avait pas suivi le veto russe s'opposant à une résolution du Conseil de sécurité – mais s'était prudemment abstenue.
Huit ans plus tard, Pékin a toujours une marge de manoeuvre réduite, notamment du fait de ses liens commerciaux, financiers et diplomatiques avec l'Europe. Un soutien à une invasion russe pourrait définitivement enterrer l'accord d'investissement signé à la fin 2020 entre l'Union européenne (UE) et la Chine.
«Il est manifeste que la crise ukrainienne [...] constitue pour [la Chine, ndlr] un risque certain de dégradation de ses relations avec l'UE et les Etats-Unis», écrit Bill Bishop, auteur de la lettre d'information Sinocism.
«Défi»
«Je ne crois pas que Xi [Jinping, le président chinois, ndlr] et son équipe souhaitent voir la Russie envahir l'Ukraine, car ils comprennent le risque» politique face au tollé international que susciterait une invasion, souligne-t-il. En défendant les intérêts russes face à l'OTAN, les dirigeants chinois espèrent peut-être un renvoi d'ascenseur, estiment d'autres experts.
Pékin «présume que la Russie agira de même lorsque la Chine se trouvera dans une situation sécuritaire critique», déclare Richard Ghiasy, spécialiste de la géopolitique asiatique au cabinet HCSS basé à La Haye.
La Chine pourrait profiter de la crise ukrainienne pour tenter un geste «provocateur» en Asie, a déclaré la semaine dernière le général Kenneth Wilsbach, commandant des forces aériennes des Etats-Unis dans le Pacifique. Dans le viseur: Taïwan, l'île que Pékin n'a jamais renoncé à récupérer, au besoin par la force.
Pékin pourrait donner à la crise ukrainienne «la valeur d'un test de la détermination du gouvernement Biden en cas de crise avec Taïwan», observe Bonny Lin, du Center for Strategic and International Studies à Washington.