Sous le feu des critiques Le séisme en Turquie accentue la pression sur Erdogan

ATS

9.2.2023 - 08:10

Le séisme de magnitude 7,8 qui a ravagé le sud de la Turquie lundi accroît la pression sur le président turc Recep Tayyip Erdogan à trois mois d'élections présidentielle et législatives. Les scrutins s'annonçaient déjà serrés avant la catastrophe.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan et un survivant s'expriment lors de sa visite du centre-ville détruit par le tremblement de terre de lundi à Kahramanmaras, dans le sud de la Turquie, le mercredi 8 février 2023.
Le président turc Recep Tayyip Erdogan et un survivant s'expriment lors de sa visite du centre-ville détruit par le tremblement de terre de lundi à Kahramanmaras, dans le sud de la Turquie, le mercredi 8 février 2023.
KEYSTONE

9.2.2023 - 08:10

Face à la montée des critiques concernant la lenteur et l'inorganisation des secours, le dirigeant, au pouvoir depuis 2003, s'est rendu dans la zone sinistrée mercredi et a amorcé un mea culpa. «Bien sûr, qu'il y a des lacunes. Il est impossible d'être préparé à un désastre pareil», a-t-il plaidé dans la province d'Hatay, près de la frontière syrienne.

Le bilan du séisme qui a fait plus de 15'000 tués au total s'élève à plus de 12'300 morts du côté turc, un nombre appelé à s'alourdir encore. Mais avant même que la terre ne tremble aux premières heures du jour lundi, le sol se dérobait sous les pieds du président Erdogan confronté à une série de crises à l'approche des scrutins du 14 mai.

Inflation à 85%

Son approche non conventionnelle de l'économie a déclenché une spirale inflationniste qui a vu les prix à la consommation augmenter de 85% l'année dernière. Sentant le danger, le président a contre-attaqué. Quelques heures après le tremblement de terre, il prenait la parole lors d'une conférence de presse à Ankara, la première d'une longue série.

Mercredi, près de l'épicentre du séisme, dans la province de Kahramanmaras, il étreint une femme éplorée au milieu des ruines. Puis il descend plus au sud vers la province d'Hatay, frontalière de la Syrie, où le nombre de morts est encore plus élevé.

Recep Tayyip Erdogan se souvient sans doute que c'est l'impéritie des autorités lors du dernier gros tremblement de terre en Turquie, en 1999, qui avait conduit son parti à la victoire trois ans plus tard.

Le premier ministre d'alors, Bulent Ecevit, avait fait l'objet de vives critiques pour avoir négligé les secours aux populations. Cette fois, le chef de l'Etat a aussitôt déclaré un niveau d'urgence maximal, qui en appelle à l'aide internationale. Le soutien de dizaines de pays, y compris de rivaux régionaux, a rapidement afflué.

Frustration

Pour les experts, le président peut donc affermir sa position avec une réponse ajustée, ou tout perdre.

«Une réponse efficace à l'urgence pourrait renforcer le chef de l'Etat et son parti, l'AKP, en suscitant un sentiment de solidarité nationale sous la direction d'Erdogan», estime dans une note Wolfango Piccoli, du cabinet de conseil en risques politiques Teneo, basé à Londres.

«S'il rate la réponse post-séisme, Erdogan pourrait perdre les élections de mai», nuance en revanche Emre Caliskan, chercheur au Foreign Policy Centre, basé au Royaume-Uni.

La frustration monte dans les régions affectées. Des familles démunies dénonçaient mardi un gouvernement incapable de leur venir en aide et de sauver leurs proches piégés sous les décombres. L'analyste Gonul Tol, qui se trouvait en Turquie au moment du séisme et qui a perdu des proches dans la tragédie, a senti que la colère était palpable à Hatay.

«Je ne peux pas croire qu'[Erdogan, ndlr] ne l'ait pas sentie, parce que le niveau de frustration, la colère, je les ai vus de mes yeux. Je suis sûr que cela aura un impact», assure la directrice du programme Turquie au Middle East Institute basé aux États-Unis.

«Des institutions affaiblies»

En 1999, poursuit-elle, la société civile avait travaillé sans relâche pour aider les victimes. Mais cette fois, il y a moins d'organisations disponibles parce qu'Erdogan en a beaucoup réprimé à la suite du coup d'État manqué en 2016.

«Vingt ans plus tard, nous ne sommes pas mieux lotis», indique-t-elle à l'AFP. «Erdogan a non seulement affaibli les institutions de l'État, mais il a également affaibli la société civile turque.»

Le président turc ne fait cependant face à aucune critique de la plupart des médias, rappellent les experts, ce qui lui confère un avantage évident sur l'opposition. Les chaînes d'informations ont très peu évoqué l'impact des mauvaises constructions après l'effondrement des bâtiments, même ceux de moins d'un an. Le gouvernement avait pourtant édicté de nouvelles normes dès 1998.

«L'opposition affirme que le nombre élevé de décès n'est pas seulement lié au tremblement de terre, mais à des constructions mal réglementées et de mauvaise qualité», relève Emre Caliskan.

En 1999, la presse avait critiqué la lenteur des autorités, pas cette fois. «Des médias nationaux largement favorables signifient également qu'Erdogan gérera le récit officiel et pourra profiter de la situation», souligne dans une note Adeline Van Houtte, consultante principale pour l'Europe à l'Economist Intelligence Unit.

ATS